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L’offensive plus prompte des mauvais instincts ne devance pas les résistances des instincts plus nobles ; mais avec une spontanéité égale, les uns s’élèvent contre les autres, sollicitent en même temps l’homme de se préférer et de s’oublier, et nulle certitude n’existe que, par ces silencieux et rapides combats, le moins bon des deux hommes réunis en chaque homme l’emportera sur l’autre. C’est tantôt l’un et tantôt l’autre, selon l’homme, parfois selon l’heure, et dans les races saines la nature travaille plutôt au bien. L’éducation, qui façonne en nous une seconde nature, y fortifie le bien ou le mal, selon que cette éducation elle-même est saine « ou corruptrice. Elle a instruit les Allemands à vaincre leur égoïsme individuel pour mieux servir, leur égoïsme collectif ; elle leur a fait un devoir de ne rien aimer par-delà l’Etat, qu’elle nomme la Patrie. Voilà pourquoi l’Allemand, déformé au lieu d’être formé par sa « culture », estime saintes les doctrines et les actions les plus inhumaines quand elles lui semblent profitables à l’Allemagne ; pourquoi il aggrave l’atrocité de la guerre par des pratiques dont la victoire n’a pas besoin, mais qui châtient la faute d’avoir contre soi l’Allemagne ; pourquoi la chance d’atteindre son ennemi le dégage de tout scrupule s’il frappe par surcroît des femmes, des enfants et des neutres ; pourquoi, quand il a cessé de combattre, il n’a pas fini de se venger et se fait le bourreau de ses prisonniers. Les pêcheurs anglais ont été moins dressés par l’école que le soldat allemand, mais leur nature saine suffit à les instruire, sans maître, que la guerre, même quand elle devient nécessaire, cesse d’être légitime si elle atteint, fût-ce chez les belligérants, les personnes inoffensives, et surtout si elle frappe les non belligérants.

La stupeur de ces loyaux combattants, lorsqu’ils apprennent le torpillage des navires neutres en pleine mer, inspire ces mots d’un pêcheur au chalut : « On ne peut plus regarder l’eau qui coule sans songer à la Lusitania, » et cette condamnation lancée aux Allemands : « Non, il ne faut plus qu’on les revoie. » Ce n’est pas à dire que le droit de légitime défense permette d’en finir avec ces ennemis comme eux en finissent avec les neutres : « Si seulement Fritz combattait proprement, dit un matelot : ça aurait de l’allure, mais ce n’est pas dans ses cordes, même si ça entrait dans les conventions. On ne pourrait pas faire comme lui. » Et nulle part ils ne font comme lui. Dans la