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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/326

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bureaux de rédaction, de furieux coups de téléphone : « Connaissez-vous Hindenburg ? Qu’est-ce que c’est que Hindenburg ? »

Tannenberg le rendit illustre. On vanta l’habile tactique grâce à laquelle il avait divisé et défait un ennemi supérieur en nombre. Mais ce qui enthousiasma, ce fut beaucoup moins la beauté que le résultat de la manœuvre : la Prusse orientale était délivrée, la menace de l’invasion conjurée. L’Allemagne, qui avait connu des heures d’épouvante, glorifia son sauveur. Tel fut le point de départ de la grande popularité de Hindenburg. Ses victoires en Pologne firent bientôt de lui l’idole de la nation.

Ses panégyristes le représentèrent comme le plus grand capitaine de tous les siècles ; car à la « tranquille opiniâtreté » d’un Frédéric le Grand, il joignait « l’art du plan de bataille » d’un Napoléon et la « simplicité de manœuvre » d’un Moltke. Personne ne faisait observer que ses victoires avaient été rendues faciles par l’incapacité ou la trahison de certains généraux russes, et qu’il avait été moins heureux dans la poursuite que dans la bataille. On n’osait plus discuter son génie : n’avait-il pas rejeté loin des frontières de l’Empire l’ennemi le plus redouté de l’Allemagne ? N’avait-il pas sauvé la culture germanique ? Car, « dans les siècles futurs, ses victoires sur les Russes paraîtront aussi importantes pour le maintien de la culture allemande que celles de Marathon, de Salamine, de Himera, de Tours et de Poitiers pour la conservation de la culture grecque et du christianisme contre les Perses, les Phéniciens et les Arabes. » (Magdeburgische Zeitung, 29 août 1917.)

La gratitude du peuple n’explique pas tout. Pour qu’un homme devienne l’objet d’un tel fétichisme, il faut un extérieur qui parle à la sensibilité populaire, un visage où la foule reconnaisse quelque chose d’elle-même, des traits où se marque fortement le caractère national. Le peuple veut pouvoir mêler un peu de familiarité à son admiration et à son culte. Le véritable Hindenburg n’est peut-être pas tout à fait celui dont une légende, désormais indestructible, a imposé l’image à tous les Allemands. Mais sa personne, physique et morale se prête à la formation de cette légende. Il est l’homme du rôle.

C’est un vieillard de soixante-sept ans, vigoureux, de haute taille, les épaules carrées, un peu bedonnant. Le front étroit se