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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/402

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ne suivre que ses propres inspirations. Il ne prévoit pas de loin, mais il témoigne de beaucoup de suite dans les idées. On est parfois surpris d’entendre dans sa bouche des propos qu’on entendait jadis dans celle de Nicolas Ier. Comme celui-ci, il dit volontiers qu’il ne transigera pas avec ses principes. Maintes fois, son aïeul semble revivre en lui. Etant donné ce caractère, ou, pour mieux dire, cette ressemblance avec le plus autocratique de ses prédécesseurs, convaincu lui aussi que la responsabilité des progrès qu’ont faits dans l’Empire les idées révolutionnaires incombe à la France, perdant de vue que, si elles se sont propagées en Russie, c’est qu’elles y ont trouvé un terrain depuis longtemps préparé par les sectes politiques ou religieuses qui se multiplient dans les milieux populaires qu’elles ont contaminés, les faits qui lui déplaisent sont traités par lui de concessions aux partis avancés. Il qualifiera de la sorte l’expulsion des princes d’Orléans, non qu’il s’intéresse à eux, mais « parce qu’elle caractérise la marche de la République. »

Même qualification à l’amnistie accordée par le gouvernement français en février 1886 à un certain nombre de condamnés politiques, parmi lesquels figure un sujet russe, le prince Kropotkine, anarchiste militant qui, après avoir conspiré en Russie, s’était réfugié en France et y avait été condamné pour avoir participé à des complots contre le gouvernement. La mise en liberté de ce personnage porta au plus haut degré la colère du Tsar. De Giers en fut l’interprète auprès de l’ambassadeur. Celui-ci répondit que Kropotkine était un condamné des tribunaux français et qu’il n’avait pas été possible de l’excepter des mesures de grâce adoptées en faveur des condamnés de sa catégorie.

« Dans notre pays, ajouta le général Appert, la loi est égale pour tous.

— Sans doute, objecta de Giers, mais il s’agit de la vie de l’Empereur. Quels regrets si Kropotkine rentrait en Russie et se livrait à un attentat !

— Ce serait grave en effet, mais si vous n’aviez pas commis la maladresse de laisser échapper ce triste personnage quand il était encore en Russie, tout cela ne serait pas arrivé. »

L’incident n’eut pas d’autre suite et, soit qu’Alexandre eut fini par se rendre aux raisons de son ministre, soit qu’il jugeât l’heure inopportune pour envenimer ses relations avec la