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il n’y a pas un coin où il lui sera possible de s’installer ; tout a été démoli ou brûlé ; les villages ne sont plus que des amas de décombres ; les clochers sont étendus en travers des routes. La fumée monte de partout ; l’air est empuanti ; tous les villages retentissent du bruit des explosions ; ce sont les cartouches de dynamite qui achèvent leur œuvre.

Il n’est pas facile de bouleverser de fond en comble toute une localité ! Des centaines de villages ont été exposés au bombardement, mais quelques murs se dressaient encore ; parfois un toit subsistait, malgré tout, sur un support de pierres. Tous ces débris misérables ont reçu le coup de grâce. Pauvre diable d’habitant, cherche ta maison maintenant…


Les cathédrales de Soissons, de Reims, de Verdun, de Dunkerque, de Saint-Quentin et d’Arras, la basilique d’Albert, les églises de Saint-Remi de Reims, de Bapaume, de Sermaise, d’Ablain-Saint-Nazaire, de Gerbéviller, d’Hattonchâtel, de Péronne, de Roye et de Pargny-sur-Saulx, pour n’en citer que quelques-unes ; les hôtels de ville de Reims, d’Arras, de Lou-vain, la Halle aux drapiers d’Ypres, parmi les grands monuments historiques qu’ils ont détruits, suffiraient à vouer tout un peuple à l’éternelle réprobation, si les Allemands y étaient sensibles. Mais ils s’en sont fait gloire au temps où ils espéraient la victoire. Donc, nous les prendrons au mot.

On connaît le texte, pesamment ironique, tracé par eux sur les ruines de l’hôtel de ville de Péronne en lettres de trois pieds de haut : « Ne vous fâchez pas ! admirez seulement. » Acceptons ce conseil ! ne nous fâchons pas. Soyons calmes et forts comme la justice implacable ! Admirons seulement comment nous pourrons, au moyen des ressources intactes de l’adversaire, non certes réparer nos pertes, mais du moins les compenser. Dans les domaines économique et industriel, il va de soi que la reprise de la vie normale et des affaires en France exigera une large rançon matérielle pour toutes les ruines accumulées, pour tous les pillages, les réquisitions, les bouleversements du sol et sa stérilité, peut-être incurable. Mais il semblait que, dans l’ordre artistique, nous dussions faire notre deuil de toutes nos richesses disparues. Il n’en est rien. Là, aussi, la rançon est possible. Elle est facilement exigible, et d’autant mieux qu’il ne s’agit que d’œuvres d’art françaises qui doivent reprendre, les unes le chemin du retour, les autres