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nous revenir après un exil de plusieurs siècles aux porches des cathédrales allemandes, aux rosaces des transepts, aux parois des piliers, aux cloisons des jubés, nous revenir, du fond des vieux trésors d’églises, des salons de Potsdam ou des nombreux musées des capitales germaniques.

L’heure n’est point venue d’établir le compte en détail. Mais on peut, déjà, mettre quelques-uns des éléments de compensation que nous devons exiger de l’Allemagne, en regard d’un petit nombre d’œuvres détruites, et les présenter au tribunal de l’opinion, qui saura imposer ses droits.


II

Le plus grand désastre artistique, imputable à la Schadenfreude exacerbée, c’est sans contredit la ruine, sinon totale, du moins en grande partie irréparable, de la basilique de Reims. On sait avec quel acharnement les artilleurs de la Kultur arrosèrent la cathédrale, dès le 19 septembre 1914, à l’aide d’obus incendiaires qui détruisirent l’admirable forêt des combles, firent fondre les lames de plomb du toit, mirent le feu à l’échafaudage de réparation de la tour du Nord et anéantirent le fameux beffroi à l’Ange qui couronnait la croisée des faitages. Nul n’ignore la continuité du bombardement, jusqu’aux derniers jours de l’occupation du fort de Brimont, ni l’ensemble des dégâts commis.

Là, le crime est patent. Il était, dès longtemps, prémédité et attendu, avec joie, par tous les partisans du Pangermanisme. Déjà, en 1814, le pasteur Goerres, professeur de théologie, avait incité Blücher, en ces termes : « Réduisez en cendres cette basilique de Reims où fut sacré Klodowig, où prit naissance l’empire des Francs, faux frères des nobles Germains ; incendiez cette cathédrale ! » Le 5 septembre 1914, le Berliner Tageblatt publiait ceci : « Le groupe occidental de nos armées de France a déjà dépassé la seconde ligne des forts d’arrêt, sauf Reims dont la splendeur royale, qui remonte au temps des lis blancs, ne manquera pas de crouler bientôt en poussière, sous les coups de nos obusiers. »

Dès octobre 1914, Rudolf Hersog cueillait les lauriers d’Apollon pour une ode qui fit le tour des Allemagnes et qui débute ainsi :