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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/883

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« Les cloches ne sonnent plus dans le dôme aux deux tours !

« Finie la bénédiction !

« Nous avons clos avec du plomb, O Reims ! ta maison d’idolâtrie. »

Et, devant la clameur unanime d’indignation de tous les Neutres, devant le cri d’horreur des Alliés médusés par tant d’infamie, on perçut le rire effroyable du général von Disfurth qui, ramassant l’épithète de « Barbare, » dont le monde entier qualifiait ses soldats, s’écriait dans un transport de sauvagerie : « Si tous les monuments, tous les chefs-d’œuvre d’architecture qui se trouvent placés entre nos canons et ceux de l’ennemi, allaient au diable, cela nous serait parfaitement égal. — Mars est le maître de l’heure et non pas Apollon ! On nous traite de Barbares, qu’importe ! Nous en rions. Que l’on ne nous parle plus de la cathédrale de Reims, de toutes les églises, de tous les palais qui partageront son sort. Nous ne voulons plus rien entendre ! ! »

Enfin, le général von Heeringen, qui commandait devant Reims, déclarait, en décembre 1914 : « Le sang allemand vaut mieux que tous les monuments français. Quand le moment viendra de prendre Reims, j’ordonnerai le bombardement général de la ville, et la responsabilité de sa destruction incombera aux Français. Nous ne respecterons Reims que lorsque les Français n’y seront plus ! »

Pourtant la haute valeur d’art de la cathédrale ne leur échappait pas, puisque le professeur Clémen, pour vanter la kultur allemande, a fait ressortir ce fait, que le colonel, comte de Vitzhum, fit une conférence sur l’histoire de l’Art, à ses soldats rassemblés par ordre, dans la basilique, même, pendant le peu de jours de l’occupation par leurs armées victorieuses.

La préméditation, la volonté du crime sont donc indéniables, et l’on comprendrait mal les raisons d’une telle haine, si nous nous arrêtions au seul grief des pasteurs luthériens que cette basilique est un temple d’idolâtrie. Elle est, historiquement, l’un des obstacles les plus puissants au triomphe d’une primauté germanique, dans l’élaboration de ce style appelé gothique par nos humanistes du XVIe siècle, qui répétaient une affirmation injurieuse de Palladio, et que nos Romantiques, engoués des légendes rhénanes, proclamaient d’origine