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— Mon lieutenant, je tiens à leur montrer que, si j’ai la vessie malade, j’ai le cœur bien placé !

Les conducteurs de « touristes, » eux aussi, en voyaient de dures. Toujours par monts et par vaux, emmenés à l’improviste dans des tournées interminables, ils étaient, « plus souvent qu’à leur tour, » obligés de manger « avec les chevaux de bois » et de coucher dehors. En voici un : le 21 février, il part pour vingt-quatre heures : il revient seize jours après ! Il est resté tout ce temps sans pouvoir se déchausser : quand il ôte ses bas, la peau de plusieurs doigts de pied vient avec !

— C’est la guerre ! murmurait-il, tandis qu’on le pansait.

Un autre, à qui un énorme camion était « rentré dedans, » avait eu, sous le choc, un bras cassé. Il ne trouva que ces mots :

— C’est dégoûtant, me v’là manchot, et j’aurai même pas la croix de guerre !

Il eut tout de même la croix de guerre. Car, à peine guéri, et revenu au front sur sa demande, il partit avec bravoure pour une mission des plus périlleuses, reçut un éclat au visage et accomplit quand même son voyage jusqu’au bout. Faut-il s’étonner que tous les chefs qui les commandaient n’aient aujourd’hui que ce cri : Les braves gens ! Les braves gens !…

Et puis, la gaîté, — absente, il faut bien le reconnaître, pendant les premiers jours, — reprit vite ses droits.

Le Service automobile avait même son poète :


… Menant mon vieux tacot d’un geste nonchalant,
Je pousse mes leviers sans me faire de bile…
Je franchis monts, vallons, ornières et ravins :
Nul ne peut m’arrêter… sauf le marchand de vins ;


Inutile de dire que les marchands de vins, dans plusieurs endroits, n’existèrent jamais qu’à l’état de mythes !… et aucun d’eux, en tout cas, n’était capable d’arrêter les camions de Verdun !

N’y a-t-il pas aussi une pointe d’humour, et du meilleur, dans ce passage d’un rapport officiel :

«… Ces transports intensifs ont été une excellente école de conduite pour tout le personnel des unités automobiles qui y a participé. Les conducteurs qui ne savaient conduire qu’imparfaitement se sont perfectionnés, et ceux qui n’avaient