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LES MERVEILLEUSES HEURES D’ALSACE ET DE LORRAINE.

plus émouvant ; le reste avait suivi tout naturellement. Un paysan, un grand diable de paysan lorrain, la peau sèche, tannée, craquelée par le grand air, les yeux fins sous le sourcil fort, le dos un peu arrondi, a ce mot caractéristique : « Ma femme vous dirait, messieurs : j’étais voûté, n’est-ce pas ? Je ne dis point que je ne le suis plus ; tout de même, depuis que ces cochons-là ne sont plus là, je me suis redressé. » Et il rit d’un rire de Bas-de-Cuir, silencieux et ironique, et ajoute : « Ces gueusards-là ne sont point partis à leur aise. Ils sentaient bien, allez, qu’ils s’en allaient bien détestés, et plus d’un regardait en arrière pour voir les drapeaux qu’on sortait, — en vrai chien à qui on aurait mis un fagot d’épines à la queue. » Ailleurs, nous disons : « Enfin, nous voici revenus. — Ah ! il était grand temps : si ce n’avait été ça, on serait mort damné. »

Partout des drapeaux, plus touchants peut-être que ceux des villes ; ils ne sont pas destinés à fêter les soldats, mais de les mettre aux fenêtres a satisfait les cœurs ; drapeaux et même arcs de triomphe, les uns modestes, simple calicot tricolore jeté d’une maison à l’autre avec, sur le blanc, le souhait de bienvenue ; les autres plus ambitieux, deux sapins reliés par des branchages, portent la longue cartouche : « Salut aux libérateurs ! Vive la France ! » des guirlandes de papier, des fleurs artificielles. Mais le comble de l’émotion vient de telle maison tout à fait isolée, ferme ou petite chaumière, qui, loin de toute agglomération, a sorti un drapeau ; c’est bien l’âme de cette petite maison, qui, inconnue, méconnue, soudain a jailli.

Le spectacle des lignes allemandes abandonnées ne nous réjouit pas moins que celui des villages pavoisés. Quelle déroute, et une déroute en plein armistice, accusent certains détails : caisses de cartouches restées pleines, des mitrailleuses, des canons de tranchée laissés là, toutes les voies de 60 intactes, près de Lezey un magnifique canon barrant presque la route, les baraques pleines d’effets ! Qu’eût été le désastre si Mangin eût, le 14, donné son coup de bélier entre Château-Salins et Sarrebourg ! Mais doit-on le regretter ? Dans quel état ce malheureux pays nous fût-il revenu ? Et le voici qui, prospère, bien cultivé, solidement bâti, nous revient aujourd’hui dans la double joie du retour de la paix et du retour à la France.

Sarrebourg est magnifiquement pavoisé. Le 18, le général