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Lebrun, commandant le 3e corps, y est entré : on avait planté tout le long de la rue des sapins enguirlandés de tricolore ; les pompiers, le cercle catholique, les vétérans, toutes les jeunes filles ont reçu le « beau général » sur la route d’Imling ; sept petites Lorraines « en tenue » lui ont offert une gerbe ; le 19 à 10 heures, il y a eu messe de Requiem à laquelle les généraux ont assisté ; les soldats ont chanté dans l’église où le chanoine Dupont a salué les vivants et les morts et, à 5 heures, vin d’honneur aux Halles ; depuis, Sarrebourg est en fête ; on ne travaille plus, « on est au paradis. »

Mais à Phalsbourg, c’est mieux pour nous ; nous ne tombons point sur un lendemain de fête, mais sur la fête elle-même. La 21e division vient d’y entrer ayant à sa tête le général Roux : depuis quatre jours, les compatriotes d’Erckmann frémissaient d’impatience ; tous les matins on allait au Metzerthor rebaptisé Porte de France pour guetter s’ils n’arrivaient pas. Et ils étaient arrivés. Lorsque nous-même arrivons, les poilus déjà remplissent la ville. Un chœur de jeunes filles avait chanté la Marseillaise au pied de ce rude Mouton, comte Lobau, soldat de la Révolution, général de la Grande Armée, le fils du boulanger de Phalsbourg, devenu comte de l’Empire et maréchal de Louis-Philippe, le héros de Medina, d’Eckmühl, d’Essling, dont Napoléon disait : « Mon Mouton est un lion, » l’un de nos témoins de bronze, le plus célèbre des soldats de cette ville incroyable qui, disait-on, en 1814 comptait un général pour dix maisons, un colonel pour quatre. On l’a pavoisé, l’illustre maréchal, et il se dresse le bâton à la main dans les sapins fleuris de tricolore. Pour nous la ville a une saveur particulière ; Erckmann nous l’a rendue si familière, du baron Parmentier au juif Moïse, à l’horloger Goulden : quoique situé du côté lorrain des Vosges, Phalsbourg fleure déjà l’Alsace de l’Ami Fritz et de la blonde Liesel. Errant dans la ville, nous n’y trouvons que motifs à nous satisfaire les yeux, l’esprit et le cœur : des bandes féminines où se marient le papillon d’Alsace et la charlotte lorraine s’en vont, riant de toutes leurs bouches rouges, de toutes leurs dents blanches, aux poilus du général Roux ; il va y avoir bal à la Mairie : « Ne restez-vous pas, messieurs ? » Hélas ! non ! D’ailleurs, on resterait partout. Et les Vosges nous appellent, et l’Alsace au delà des Vosges où nous attendent d’autres spectacles.