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Le plus pressant souci du Président Ebert, entrant de franc jeu dans son rôle constitutionnel, a été de former un gouvernemenl. Il en a confié le soin à M. Scheidemann, autre camarade. Le cabinet Scheidëmann se caractérise en gros par ce trait qu’il est tiers-parti ; disons, pour ne pas prêter à équivoque, qu’il se compose des apports de trois factions : les socialistes majoritaires, les démocrates, le Centre catholique. Les noms mêmes de tous ces ministres, comme il arrive, nous apprendraient peu de chose, à part trois ou quatre, sous lesquels on découvre des personnages connus. Le comte de Brockdorfî-Rantzau, par exemple, reste aux Affaires étrangères, et il a beau s’évertuer à prouver qu’on peut « être comte et démocrate », il y a beaucoup plus de chances encore pour qu’étant comte et diplomate, on soit pangermaniste et impérialiste, dans l’acception nationale du mot. M. Noske, ministre à poigne, socialiste autoritaire, est maintenu à la Guerre, qui, pour le moment, est aussi la Police. Enfin, le docteur Preuss, personnellement, conserve le ministère de l’Intérieur : on le lui devait bien, puisqu’il a rebâti ou recrépi la maison. M. Erzberger reçoit ce prix de consolation : un titre de ministre sans portefeuille. Il en est de même du camarade David, qui a cédé la présidence de l’Assemblée à M. Fehrenbach, homme du Centre, pas même démocrate, simple quart de camarade, dont on se rappelle la très fugitive velléité de résistance, aux débuts de la révolution, lorsqu’il était ou se croyait encore président du défunt Reichstag. Ce sont ces « utilités » qui servent aux transitions, c’est de ces planches banales qu’est fait le pont par où les peuples passent d’un temps et d’un système à un autre système et à un autre temps. Des conservateurs de ce genre manquent rarement aux révolutions : ils y conservent, au moins, jusque dans ce qui est réellement changé, les formes de la tradition, l’ombre des familières coutumes.

Le chef du gouvernement, Scheidemann, a exposé sans différer son programme, très long, à la mode du pays et du parti, mais dont on nous a donné un résumé sec et clair ; « La tâche de l’avenir immédiat, a précisé le président du Conseil des ministres, peut être résumée dans les points essentiels suivants : renforcement de l’unité de l’État au moyen d’un fort pouvoir central (pure essence, quintessence de tous les discours et programmes allemands, après comme avant, et peut-être plus après qu’avant la révolution) ; conclusion immédiate de la paix ; adhésion au programme du Président Wilson ; refus de toute paix de violence ; rétablissement du territoire colonial allemand ; rapatriement immédiat des prisonniers