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frivolité, le néant de leurs occupations, leurs grâces artificielles, leur perversion raffinée, leur froid don-juanisme qu’il a stigmatisé dans Othon ou le débauché, dans Thrasile, dans Les jeunes gens, etc. Il n’est pas plus indulgent aux hommes de lettres qu’il connaissait mieux, et dont, il est vrai qu’aux environs de 1750 la plupart ne valaient pas cher. Il les a vus ramper aux pieds des grands seigneurs, des fermiers généraux et des favorites, méprisés de ceux dont ils recherchaient la compagnie et dont ils avaient mission d’égayer la digestion ; il les a vus s’embusquer dans l’ombre de quelque gazette clandestine pour servir les rancunes de leurs patrons ou pour se diffamer les uns les autres, prêts toutefois à s’unir contre tout écrivain de génie, si par miracle il s’en produisait un. A la rigueur, il eût excusé leur platitude et leur servilité ; il devait bien voir qu’à pareille date et dans les conditions de vie que leur faisait l’ancien régime, ils n’en étaient pas entièrement responsables. Leur tort inexpiable à ses yeux est de n’être qu’esprit. Ne doutons pas qu’à son gré Voltaire eût infiniment trop d’esprit, et non seulement de celui qui est ironie, mais aussi de celui qui est bel esprit, coquet badinage, ingéniosité, brillant artifice, et s’il l’a admiré néanmoins, s’il l’a aimé, c’est que le plus spirituel et le plus ingénieux écrivain du XVIIIe siècle en était en même temps la créature la plus vivante et la plus vibrante, la plus ardemment et inépuisablement passionnée. Fontenelle, en revanche, lui était odieux. Celui à qui Mme de Tencin disait, en lui posant le bout de son doigt sur la poitrine, à la place du cœur : « C’est de la cervelle que vous avez là, » celui dont Emile Faguet a si bien dit : « Il était fait pour avoir toute l’intelligence qui n’a pas besoin de sensibilité ; cela ne va pas si loin qu’on pense, » celui-là était comme le symbole de tout ce qui déplaisait à Vauvenargues dans la littérature de son époque. Il lui a dit de dures vérités dans le portrait d’Isocrate ou le Bel esprit moderne, et, chose curieuse, son aversion pour lui était telle qu’elle l’a mené jusqu’à renier Corneille, dont il était si bien fait pour goûter le sublime, mais dont il n’oubliait pas que Fontenelle était le neveu.

Voilà, je crois, à peu près tout ce qu’il a vu du monde, et tout ce qu’il en a vu l’a blessé. Il lui a paru qu’il n’y avait pas place là pour une âme aimante et fière, et qu’elle y était vouée aux pires mécomptes. Comme il savait, d’autre part, le