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homme pour sa bravoure et sa loyauté ; aussi dites-lui bien des choses de ma part, car je cause souvent de lui, quand je raconte mes exploits des tranchées.


Et quelques jours plus tard, m’envoyant du front la copie de cette lettre, à laquelle il tenait « plus qu’à une citation, » il m’écrivait, avec ce gracieux enjouement qui était le sien, quand il voulait sourire :


Ci-joint, cher ami, la copie de la lettre du zouave. Si vous la mettez quelque jour sous les yeux des lecteurs, camouflez-moi ; mais laissez entendre qu’il s’agit d’un ouvrier agricole et d’un vieux nom de France ; tant pis si les modérés y voient revivre « l’alliance des partis extrêmes ! »


Voilà rempli, mon commandant, le devoir dont vous m’aviez chargé ; mais le vieux nom de France ne sera pas « camouflé, » le vieux nom plein d’honneur dont vous rajeunissez le lustre. En me confiant ce texte, vous ne songiez qu’à vos zouaves ; c’est eux dont vous vouliez faire admirer le dévouement. Et voici que c’est vous dont il me faudra parler : sans le savoir, ô mon ami ! ce dernier jour où je vous ai vu, vous me désigniez ainsi pour prendre soin de votre mémoire.

Les événements nous pressent. L’heure approche de cette paix dont vous n’avez jamais douté et pour laquelle a coulé votre sang. Il est trop tôt, et le loisir manque, pour faire halte auprès d’un tombeau, pour tracer le portrait que vos amis attendent. Ceci n’est pas le monument que notre piété doit à votre souvenir : c’est la clôture de branchages, c’est l’inscription provisoire qu’attache en hâte un camarade sur une croix, au-dessus d’un tertre, sur le bord d’un champ de bataille...


I

C’est en septembre 1915 que je le rencontrai à l’Etat-major du général Rouquerol, qui commandait alors dans les Flandres le groupement de Nieuport. Il n’était pas pour moi absolument un inconnu. Sa jeune réputation d’orateur, qui avait commencé de croître quelques mois avant la guerre, était venue jusqu’à moi. Mais j’ignorais encore qu’il eût rien publié et, pour tout dire franchement, en dehors de son nom, je ne savais rien de lui.