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choses que nous avions écrites et qui, en les relisant, nous ont paru trop vives. Peu à peu s’était formée en nous cette opinion, que nous avions de plus en plus de peine à dissimuler, que, quant à présent, la Conférence piétine, et que si ses hésitations, ses tergiversations devaient se prolonger, il faudrait rompre avec les belles manières du protocole et oser dire qu’elle patauge. Mais peut-être est-il ou trop tôt ou trop tard pour employer un langage si énergique. Nous souhaitons que ce soit trop tard, parce que l’illustre cénacle, comme on nous l’annonce, serait sur le point d’aboutir. Mieux vaut, pour l’instant, se contenter de retracer à grands traits l’historique de ses travaux, d’en dégager les grandes lignes, en évoquant particulièrement, à titre d’exemple, les incidents des dernières semaines.

La Conférence interalliée de Paris a été, on se le rappelle, ouverte le samedi 18 janvier par M. le Président de la République française, en présence de M, le Président de la République des États-Unis et des premiers ministres de la plupart des Puissances, M. Lloyd George, M. Orlando, M. Venizelos, etc. M. Clemenceau, président de notre Conseil des ministres, fut nommé président de la Conférence. Ces circonstances, qui ne sont pas de pure forme, appellent aussitôt une observation. Certes, ce n’est pas seulement un honneur que les premiers ministres des différentes nations ont voulu faire à la Conférence en s’y déléguant eux-mêmes comme premiers plénipotentiaires : le choix, outre ce qu’il avait de flatteur par la qualité des personnes, offrait des avantages incontestables. Mais, toute médaille ayant son revers, il n’était pas, en revanche, sans quelques inconvénients, qui ne devaient guère tarder à apparaître. Même en temps ordinaire, les chefs de gouvernement, dans l’État extrêmement compliqué qu’est l’État moderne, sont partagés entre toute sorte d’obligations, de soucis et de besognes ; que sera-ce en des temps extraordinaires ? Cette guerre, énorme par l’espace qu’elle a couvert sur la surface du globe, et par les longues années qu’elle a duré, énorme aussi par les millions d’hommes qu’elle a jetés les uns contre les autres, par les centaines ou les milliers de questions qu’elle a posées, par les conflits d’ordre extérieur et d’ordre intérieur d’où elle est née ou qui sont nés d’elle, saisit tous ceux qui ont la charge du présent et de l’avenir et, bon gré, mal gré, les entraîne haletants. Nul répit. A peine se croient-ils sortis d’une difficulté, qu’une difficulté plus pressante les reprend. La liquidation politique et sociale d’une pareille guerre, sans révolution, sans bouleversement, le raffermissement d’un milieu plus violemment secoué qu’il ne l’avait jamais été, est, en