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intérieure de Chingareff, la politesse exquise et aussi la froideur glaciale de l’homme du monde. Derrière les phrases aimables et les éloges décernés aux invalides, je sens de la prudence et de l’hésitation. Il me promet d’obtenir l’appui de Kerensky et aussi d’Avksentieff. Malgré ces bonnes paroles, je me rends compte que je n’ai pas réussi à gagner le jeune et élégant ministre des Affaires étrangères…

Comme je l’avais pressenti, Terechtenko ne donne pas signe de vie. Mais Mme Lebedew, fille de Kropotkine, se prodigue pour notre cause. C’est elle qui obtient de Kerensky la promesse de recevoir une députation des invalides et de prêter son concours éventuel, s’il se trouve à Petrograd ; en tout cas, il nous autorise à mettre son nom sur le programme. Elle en a aussi parlé à Avksentieff, à Skobeleff et à Tzereteli : les deux premiers ont donné leur consentement, le troisième a refusé.

Finalement, la fête doit avoir lieu à la Maison du Peuple, le jour de la remise de l’étendard au 1er détachement. Déjà tous les billets sont placés, tout est réglé jusque dans les moindres détails… Soudain, comme un coup de foudre dans un ciel serein, éclate la nouvelle que Rodzianko est parti pour la campagne. On craint des troubles bolcheviks : dans de pareilles circonstances, il n’admet pas une réunion du genre de la nôtre. Il a fallu nous résigner : le meeting n’aura pris lieu !

Les invalides sont consternés : c’est l’effondrement de tous leurs rêves. Sans subsides, leur départ pour le front devient des plus aléatoires. Tout se recule pour eux dans un vague lointain.


15 juin.

Malgré ce lamentable échec, je n’ai pas perdu tout espoir d’organiser un nouveau meeting pour les mutilés. L’enthousiasme de la foule, lors de la bénédiction de leur étendard leur a rendu courage. Mes visites aux hommes influents recommencent.

Roditcheff[1] qui s’était absenté de la ville, vient de rentrer. Je suis allée le trouver dans son appartement de la Basseinaïa. Notre entretien, malgré sa grande cordialité, m’a laissé une

  1. Membre influent du parti cadet, député à la Douma, orateur éloquent.