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REVUE LITTÉRAIRE

les tribulations d’une doctrine :
la crise darwinienne
[1].


Un bel épisode et pathétique, dans l’histoire de l’humanité, c’est l’invention d’une idée. Mais une aventure le plus souvent lamentable, c’est le chemin que fait une idée dans le monde. Parfois, elle ne va pas loin ; et elle meurt : on l’a tuée, ou bien on l’a laissée mourir faute de soins et d’accueillante amitié. Parfois, elle a plus de chance, ou paraît avoir plus de chance : elle galope, elle visite l’univers entier. Seulement, regardez-la au bout de quelques temps. Vous ne la reconnaissez pas : elle a changé, elle n’a point embelli, elle a (pour ainsi dire) mal tourné. Vous croyez vous rappeler une jeune fille : et vous retrouvez une vieille coureuse. Les grand’routes et le hasard des rencontres ne sont pas ce qu’il faut à une idée. Et les philosophes qui veulent que l’histoire de l’humanité soit l’histoire des idées s’aperçoivent que les idées n’ont d’influence, presque jamais, qu’à l’état de contre-sens ou d’absurdité. Les idées ont une étonnante facilité à se dévergonder. Elles ne sont bien sages qu’avant d’être sorties de chez leur père ; et, d’habitude, elles ne sont plus sages, quand on célèbre leur beauté : leurs amoureux les ont bientôt compromises.

L’auteur de l’Origine des espèces et de la Descendance de l’homme, Charles Darwin, un jour, s’effraya de ce que le darwinisme devenait.

  1. Le « dogme » transformiste, par le professeur Grasset (la Renaissance du livre). Cf. du même auteur, La science et la philosophie (même éditeur), la Biologie humaine (librairie Flammarion) et Les limites de la biologie (Alcan). Voir aussi Les théories de l’évolution, par Yves Delage et M. Goldsmith (Flammarion).