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Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/314

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les autorités françaises. Qu’est-ce donc qui les poussait à se livrer d’eux-mêmes entre leurs mains ? Un d’eux expliquait ainsi son cas :

— J’étais bien tranquille dans la prairie. Voilà que, la semaine derrière, le maître du ranch m’arrive pour inspecter le troupeau. L’opération terminée, on cause un peu : « A propos, Frenchie, me dit-il à brûle-pourpoint, vous savez qu’ils ont la guerre chez vous. » Il me montre le journal. J’y jette un coup d’œil et je réponds : « Qu’ils se débrouillent ! Moi, ils m’ont rayé de leur liste : je ne bouge pas. » N’empêche que, le lendemain, à la pique de l’aube, j’enfourchais mon meilleur mustang, je galopais d’une traite jusqu’au ranch, je priais le patron de me régler mon compte, et je sautais dans le train. Cette sacrée France ! Du diable si je pensais encore à elle ! Mais, quand on l’a dans le sang, il faut croire que c’est pour jamais… Seulement, que le consul ne s’avise pas de me chercher de vieilles puces ! Je suis ici pour être expédié au feu, non pour être bouclé en prison. »

Espérons que la « sacrée » France n’aura pas refusé à ces enfants prodigues le droit de se réhabiliter en se faisant tuer pour elle.

Au nombre des permissionnaires que nous ramenons dans leurs foyers figurent plusieurs volontaires américains qui se sont engagés dès la première heure au service de notre pays. Je me suis lié en cours de route avec l’un d’entre eux, issu par ses pères d’un vieux clan écossais, comme l’indique son nom de Campbell. C’est à la prédominance de l’élément celtique dans sa population, — qu’il soit venu d’Ecosse, d’Irlande ou de Galles, — que l’Amérique est redevable du caractère foncièrement idéaliste de son génie. Le jeune Campbell a pu vivre des années au contact direct des brasseurs d’argent de Wall Street, sans rien abdiquer de sa noblesse native. Il travaillait dans une banque lorsque la guerre éclata. Comprenant d’instinct que, dans ce conflit, c’était la civilisation morale du monde entier qui était en jeu, il n’eut pas une seconde d’hésitation. Son gouvernement lui enjoignait de rester neutre, mais sa conscience, nourrie de la pure tradition américaine, lui faisait un devoir de se prononcer. Il résilia son contrat, rassembla ses économies et postula pour une place de conducteur dans le corps des ambulances automobiles qui s’organisait à ce