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comprendre, c’est que le comte Witte, homme d’Etat perspicace et pratique, ait pu tomber dans la même erreur. C’est là, à mon sens, une des fautes qui pèsent le plus lourdement sur la mémoire du comte Witte, car c’est bien cette erreur qui a été la cause principale du naufrage de la première Douma et des difficultés qui en sont résultées.

Nous venons de voir combien était curieuse la composition de la première Douma ; il était non moins curieux de constater que les deux principaux partis qui s’étaient disputé la victoire aux élections, — les « Cadets » et les « Octobristes, » — n’y étaient pas représentés par leurs chefs déclarés. Le parti Cadet, qui avait triomphé sur toute la ligne, n’avait cependant pas réussi à introduire dans l’enceinte de l’assemblée son leader, le professeur Milioukoff ; celui-ci, élu à une grande majorité à Saint-Pétersbourg, avait été exclu par le gouvernement pour je ne sais plus quelle question de forme. Cette exclusion ne tourna du reste guère à l’avantage du Gouvernement, car M. Milioukoff n’en continua pas moins du dehors à diriger son parti et j’ai toujours pensé que sa présence eût été moins incommode pour le Cabinet dans la salle des séances, qu’elle ne le fut dans les couloirs de la Douma. Les Cadets comptaient d’autre part à la Douma un nombre considérable de personnalités marquantes, telles que le professeur Mouromtzoff (président de la première Douma) MM. Golovine (plus tard président de la deuxième Douma), Roditcheff, Nabokoff, Vinaver (les trois meilleurs orateurs du parti), le prince Schakhovskoy, MM. Petrounkiévitch, Kokoschkine, Hertzenstein, etc.

Les deux partis libéraux connexes, « parti des réformes démocratiques » et « parti de l’ordre légal, » quoique peu nombreux, — on a dit d’eux que c’étaient des états-majors sans troupes, — étaient aussi représentés par des hommes de grande valeur. Le premier, par son fondateur, le professeur M. Ko-alevsky, mort aujourd’hui, qui comptait tant d’amis en France, et par le général Kouzmine-KaravaieFF, un des meilleurs orateurs de la Douma ; le second avait à sa tête le comte Heyden qui avait occupé une haute situation à la cour et dans la hiérarchie gouvernementale et dont l’autorité morale était universellement reconnue. Quant aux Octobristes, leurs deux chefs, MM. Goutchkoff et D. Schîpoff, avaient été battus aux élections. Les conservateurs n’avaient envoyé à la Douma