Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spécial du Tsar enjoint aux grands-ducs de revêtir l’uniforme russe pour aller chez le représentant de l’Allemagne, et c’est en uniforme russe que lui-même s’y présente. Il marque mieux encore son intention en se retirant avant le souper, au grand dépit de son amphitryon. Ce sont là de menus faits, mais ils témoignent de la volonté d’affirmer la préférence qu’il accordera désormais au gouvernement de la République française. Naturellement, sa conduite en cette circonstance est commentée dans les chancelleries, sans que personne soupçonne encore que les deux gouvernements se sont alliés par une convention militaire.

Lorsqu’au mois de juin 1894, le président Carnot est assassiné à Lyon, on est frappé de la forme particulièrement émouvante des condoléances de la cour de Russie. Giers, parlant de la victime, la qualifie de « chef vénéré de la nation amie » et invite les populations russes à prier pour elle. Les chancelleries n’y voient cependant que la confirmation de ce que l’on savait déjà, depuis les fêtes de Cronstadt. Pour ce qui les a suivies, on reste dans l’ignorance ; elle existait encore lorsque mourut Alexandre III, et il en fut de même sous le règne de Nicolas II et en 1899, lors du voyage à Saint-Pétersbourg de M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères. Ce voyage avait pour but d’obtenir du Tsar une modification au traité primitif, jugée indispensable par le gouvernement français. Ces choses, répétons-le, ne devaient être révélées que plus tard, et, comme elles appartiennent à une autre période et à un autre règne, nous nous contenterons d’y faire allusion, voulant prouver seulement que, jusqu’à la fin, le fils d’Alexandre III est resté fidèle aux engagements pris par son père. Ce sera prouvé et archi-prouvé quand ce règne et les événements tragiques qui l’ont caractérisé seront murs pour l’Histoire, et ce sera aussi pour la mémoire de l’infortuné souverain, indignement calomnié, l’heure de la justice et de la revanche.


III

Au mois d’août 1894 et presque à l’improviste, la santé de l’empereur Alexandre donnait lieu à des nouvelles alarmantes. Depuis quelques semaines, on le savait mal remis d’une attaque d’influenza, mais personne n’avait soupçonné la gravité des