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Elle l’avait surpris à Varsovie. Le 2 octobre, il en parlait pour la Crimée avec l’Impératrice. En arrivant le 5 à Livadia, celle-ci lui proposa de faire venir d’Allemagne un spécialiste des maladies du cœur dont elle avait déjà reçu les soins. Il écarta cette offre par un refus formel, en alléguant que son médecin ordinaire lui suffisait. Elle prétexta alors de la nécessité où elle se trouvait de consulter le spécialiste allemand pour elle-même et pour le général Richter, chef de la maison militaire. Le personnage étant arrivé, l’Empereur se décida à le voir et, sur son conseil, il consentit à aller passer l’hiver à Corfou où des ordres furent aussitôt envoyés pour y préparer son installation. Là, il pourrait prendre un repos complet et jouir d’un climat plus chaud que celui de la Crimée. Son beau-frère, le roi de Grèce, qui se trouvait alors dans sa famille à Copenhague, partit aussitôt pour Corfou afin de le recevoir. Mais en passant à Vienne, il laissa entendre que l’état d’Alexandre était désespéré et, de son côté, le comte Benckendorff, grand-maître de la maison impériale, en arrivant à Corfou, exprimait la crainte que l’Empereur ne pût quitter Livadia. Cette crainte allait se réaliser. Le 16 octobre, force était de décider que l’Empereur ne se déplacerait pas et que le grand-duc héritier, Nicolas, qui devait aller à Darmstadt passer quelques jours auprès de sa fiancée, devait renoncer à ce voyage. C’est elle qui irait à Livadia. Quant à lui, sous la surveillance de son oncle, le grand-duc Wladimir, il commençait à gouverner.

Le 20, tout espoir de conserver une existence si précieuse à la Russie étant perdu, tous les membres de la famille impériale partaient pour Livadia où, durant quelques jours encore, on allait vivre dans des alternatives angoissantes auxquelles s’associait par toute la Russie la partie pensante de la nation qui ne se dissimulait pas que le fardeau du pouvoir serait sans doute trop lourd pour les épaules destinées à le porter.

« Que sera ce nouveau monarque ? se demandait-on. Pour gouverner la Russie, il faut une intelligence et une volonté. Alexandre III possède l’énergie ; son fils est timide et craintif. Elevé avec sévérité, il n’a pas eu de jeunesse. A vingt-six ans, il ne sait rien de la vie que la famille où il a grandi à l’ombre de l’autorité paternelle. Sa petite taille achève de donner l’impression d’un adolescent peu capable de gouverner un grand peuple. »