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Néanmoins, après les obsèques, le premier jugement porté sur Nicolas II devenait plus bienveillant ; ceux qui l’approchaient lui reconnaissaient une maturité d’esprit qu’ils n’avaient pas soupçonnée. On racontait que les rares conseils qu’il avait reçus in extremis de son père lui avaient profité et qu’il avait pris, vis-à-vis de sa mère, l’engagement de s’y conformer. Sur ce dernier point, on ne disait que la vérité. Pendant les premières années de son règne, il suffira pour inspirer ou modifier ses résolutions qu’elle lui dise : « Ton père aurait fait ceci ; ton père n’aurait pas fait cela. »

Au lendemain du mariage, la jeune impératrice bénéficie d’une égale transformation du sentiment public à son égard. Elle a charmé tout le monde, même le roi de Danemark, qui n’avait pas vu avec plaisir son petit-fils épouser une princesse allemande. Le prince Lobanoff écrit : « La nouvelle impératrice est tout à fait charmante et certains traits du bas du visage qu’on lui reprochait et qui semblaient un peu durs quand sa physionomie est au repos, se transforment dans son sourire et l’impression qu’on en carde est gracieuse. » Mais ces éloges ne s’adressaient qu’aux agréments extérieurs de la souveraine et restait à savoir ce qu’elle valait moralement et ce qu’elle serait dans l’avenir.

Ainsi que je l’ai dit plus haut, je considère que l’heure n’est pas venue, vu l’obscurité des événements qui se sont déroulés en Russie dans ces dernières années, de raconter l’histoire du règne de Nicolas II. C’est un devoir pour l’historien de n’entreprendre cette histoire que lorsqu’ils seront mieux connus et lorsqu’il pourra faire une sélection équitable entre les commentaires calomnieux qui ont dénaturé les intentions et les actes du souverain et la vérité sur ce qu’il a voulu et entrepris. Mais je ne crois pas manquer à ce devoir en laissant entendre qu’aux approches de la catastrophe qui a brisé la dynastie des Romanoff, la compagne du tsar n’a pas réalisé les espérances qu’avaient conçues ses admirateurs lors de l’avènement de Nicolas. On sait que le mariage n’eut lieu que lorsque déjà le jeune tsar était couronné depuis trois semaines. Quels qu’aient été les jugements qu’on portait alors sur l’impératrice, il n’apparaît nulle part que personne ait jamais prévu qu’elle pourrait être accusée un jour d’avoir été le mauvais génie de son époux, ce dont on l’accuse aujourd’hui. L’avenir nous