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ans et plus, ce ne sera pas une paix actuelle, une paix en acte et en être, elle restera une paix en devenir. Pendant quinze ans et plus, elle sera éphémère, « quotidienne, » en ce sens que nous serons obligés, pour la maintenir, de la conquérir chaque jour. Ce n’est pas par un symbolisme vieillot et puéril que le traité sera, suivant l’usage, scellé d’un cachet de cire; et c’est, en effet, une cire qu’il nous met entre les doigts, une cire qu’il nous faudra modeler chaque jour pendant au moins quinze ans. Nous le savons, la tâche était ardue. Entre nos alliés, en face de nos adversaires, nos négociateurs ont fait ce qu’ils ont pu. Aussi voudrions-nous aujourd’hui n’exprimer que les hommages, et taire les critiques; mais enfin nous sentons, et peut-être eux-mêmes, les premiers, sentent-ils tout ce qui leur a manqué. Non point, certes, le sens français : c’est l’éminente dignité de M. Clemenceau, qu’il le possède au suprême degré. Non point, au début; l’esprit de la victoire, mais il est allé, et il devait fatalement aller, à mesure qu’elle s’éloignait, en s’affaiblissant. Il leur a manqué par-dessus tout le sens, pour ne pas dire la science, de l’histoire et le don des vues d’ensemble. Positivement, ils ont reconstruit l’Europe sans la voir : les arbres les ont empêchés de voir la forêt. Leur traité est, dans ses détails, un recueil de bons devoirs de spécialistes, lorsque les compétences ont été consultées, mais il est clair qu’elles l’ont été plutôt, ou qu’elles ont été plus et mieux écoutées, sur les petites que sur les grandes questions. Il n’est point « charpenté, » il n’a pas de ligne : on distingue mal où il va et où il conduit. Néanmoins, tel qu’il est, telles que sont les conditions signifiées solennellement aux Allemands, qu’on n’y touche pas, puisque, en y touchant, loin de les renforcer, on ne ferait que les énerver et détendre davantage. M. de Brockdorff-Rantzau a déterminé un point où il place le maximum de ce que peut et de ce qu’accepte l’Allemagne ; tenons pour définitif le minimum au-dessous duquel nous ne pouvons pas et nous n’acceptons pas. Pour nous, comme pour l’Allemagne, il y a le possible et l’impossible. Sachons prononcer, sur le ton qui convient, et qui est naturel à M. Clemenceau, le mot qui tranche tout : Non possumus.

Dans le discours qu’il a fait lire à Beaune, à l’occasion de la fermeture de « l’université américaine, » M. André Tardieu, tout en reconnaissant que le traité préparé « n’est sans doute point parfait, car il est œuvre humaine, » l’a loué de réunir trois qualités, d’être honnête, d’être commun aux Alliés et associés, autrement dit cautionné par eux tous dans chacun de ses articles, enfin d’être efficace :