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pleurent sur les ruines du Temple ; les chrétiens y vénèrent la trace divine des pas de Jésus ; les musulmans sunnites affluent de tous les coins du vieux monde aux villes saintes du Hedjaz, tandis que les Chiites hurlent leur douleur et leur espérance à Kerbelah et à Nedjef. Les ruines de cités qui furent superbes s’entassent à côté de capitales encore vivantes. Constantinople enfin, dont Napoléon disait : « c’est l’Empire du monde, » garde le prestige incomparable qu’elle doit à sa position à l’intersection de deux grandes voies historiques, la route maritime des détroits, la route terrestre d’Europe en Asie.

Mais un vent de mort a passé par là. Les anciens noms, évocateurs des brillantes civilisations du passé, ce sont les Européens qui les ont ressuscites, mais sur place ils ne sont connus que de quelques chrétiens ; des consonances étrangères aux lèvres aryennes les ont remplacés. Du Ve au XVe siècle la grande vague des peuples turco-mongols s’est abattue sur l’Asie occidentale et l’Europe orientale et les a submergées, détruisant tout, civilisations chrétiennes et civilisations musulmanes, le Khalifat de Bagdad comme l’Empire de Byzance. Après des siècles de guerre et d’extermination, les descendants des anciens capitaines d’aventuriers turcs ont fini par fonder l’Empire ottoman. Les Turcs ont toujours été des soldats disciplinés et braves ; ils sont allés jusqu’à Vienne et jusqu’à Tunis, mais ils n’ont créé ni une civilisation, ni une administration, ni un art original ; ils n’ont jamais tenté de donner aux peuples chrétiens soumis à leur Empire un statut équitable ; ils n’ont jamais réussi à s’élever au-dessus de la conception qui divise les hommes en vainqueurs et vaincus, maîtres et esclaves. Turcs et raias. Tout ce qui a été créé chez eux, surtout depuis le Commencement de leur décadence militaire, l’a été sans eux, et si les rivalités des puissances européennes qui se disputent l’influence prépondérante et les affaires avantageuses ne l’avaient maintenu debout, depuis longtemps l’Empire ottoman aurait cessé d’exister ou serait relégué en Anatolie. Les Turcs depuis plus d’un siècle ne se maintiennent comme puissance que parce qu’ils ont Constantinople, et Constantinople est restée turque parce que les nations européennes n’ont jamais voulu permettre à l’une d’elles d’en obtenir l’exclusive possession. La question de Constantinople a toujours été et reste, à l’heure actuelle, la difficulté capitale pour tout règlement de la question d’Orient » ;