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amenaient la Grande-Bretagne à faire, tant en Syrie qu’en Mésopotamie, un grand effort militaire auquel la France, assez occupée chez elle, ne put s’associer que dans une très faible mesure. Cette circonstance fit naître dans l’imagination de certains « coloniaux » et militaires anglais, tels que sir Mark Sykes et le colonel Lawrence, et chez certains fonctionnaires anglais d’Egypte, une conception nouvelle : sous l’égide de la Grande-Bretagne, un grand Empire arabe se constituerait qui embrasserait tous les territoires entre la Méditerranée et la frontière de la Perse. La défaillance de la Russie ouvrait aussi du côté de la Caspienne et sur le plateau Iranien de vastes perspectives. Quant à la France, les événements l’évinceraient peu à peu de la Syrie. « Nous dégoûterons les Français de la Syrie et les Syriens de la France, » disait sir Mark Sykes. Sur place, les agents anglais pratiquaient cette politique avec une unanimité qui semblait révéler un mot d’ordre. Certes, le cabinet de Londres ne songeait pas à renier sa signature, mais, s’il donnait des ordres pour que la convention de Londres fût respectée dans son esprit, ses instructions restaient lettre morte ; les procédés de la plupart de ses agents, dans tout l’Orient, auraient pu faire croire que les deux pays, si étroitement unis par les liens d’un commun sacrifice et par la plus noble fraternité d’armes sur le champ de bataille de France, étaient adversaires en Asie. Le prince Feiçal, fils du roi Hussein, qui était entré à Damas avec ses Arabes après la victoire définitive du général Allenby et qui avait essayé de faire reconnaître son autorité même à Beyrouth et dans le Liban, devenait une sorte de candidat à un trône panarabique avec l’appui britannique.

Les événements se chargèrent d’apporter un correctif nécessaire à cette politique imprudente. L’armistice avec l’Allemagne permit à la France de reprendre en main ses intérêts dans le Levant et, en mars-avril, les troubles d’Egypte et des Indes vinrent montrer aux Anglais les dangers de la politique panarabique. L’unité arabe est un contre-sens et un péril ; dans l’état de civilisation actuel des divers éléments ethniques qui parlent arabe, l’idée d’unité ne peut naître que sous la forme du fanatisme religieux. Il est impossible de faire vivre sous une même loi la monarchie théocratique de La Mecque et les Syriens musulmans de Syrie, républicains et