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sur celle des chercheurs d’or. Les brigands avaient mis à leur tête des chefs dont l’autorité était presque sans limites. Leur code pénal ne reconnaissait qu’un seul châtiment, la mort. La peine capitale attendait tous les membres de l’association qui voulaient l’abandonner. La loi n’admettait pas de renégats, parce qu’une fois partis ils auraient pu donner aux autorités chinoises de précieux renseignements sur les retraites et les forces des Khoungouses. Chose singulière, mais logique, ces voleurs punissaient le vol plus sévèrement que tout autre crime. Celui qui dérobait quelque chose à ses camarades ou qui conservait par devers lui le produit d’un vol ne trouvait jamais grâce devant ses chefs. C’est que le vol entre Khoungouses était la négation même de leur organisation. Le coupable devait mourir : sa suppression était l’indispensable mesure de protection contre l’atteinte portée aux droits de la communauté.

Avec le temps, les Khoungouses devinrent d’une hardiesse extrême. Ils assaillirent les caravanes, établirent sur les routes de la Mandchourie des postes qui enlevaient même les convois du Gouvernement, pillèrent les maisons isolées et les villages, imposèrent enfin des contributions aux petites villes Ils régnèrent sur toute la Mandchourie par la terreur qu’ils inspiraient aux habitants.

Les bateaux eux-mêmes n’étaient pas à l’abri de leurs entreprises. Ils ont attaqué, maintes fois, les gros bâtiments qui naviguaient sur la Soungari. Les barques étaient journellement arrêtées au confluent des rivières qui se jettent dans l’Amour. Les Khoungouses allaient en personne vendre le chargement à la ville voisine, pendant que le propriétaire de l’embarcation était retenu prisonnier. L’opération faite, les brigands lui rendaient sa barque et lui remettaient le produit de la vente, non sans prélever, au préalable, une dîme de 50 à 75 pour 100, afin de s’indemniser de leurs peines. Ainsi le mandchou ne criait pas trop, puisqu’il ne perdait pas tout.

Il n’était pas rare de voir un Khoungouse se rendre chez un riche négociant chinois, lui enjoindre de le suivre et déclarer à la famille atterrée qu’elle reverrait seulement son chef le jour où elle aurait versé à l’association une rançon dont le chiffre était proportionné à la fortune du négociant.

Ce dernier suivait son ravisseur sans essayer de lui échapper, car il n’ignorait pas que toute tentative de résistance attirerait