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des bois de chênes, de pins et d’arbousiers penchaient au-dessus de la plaine leurs toisons embaumées et dans une verte prairie, près du château, jaillissait, — inattendu, — un gai ruisseau de montagne dont les gracieux méandres évoquent, au fond de l’Auvergne, un paysage de Ruysdaël.

Dans ce cadre pittoresque se forma l’imagination de l’enfant bercée par les contes du vieux temps ou les récits héroïques sur son « estoc. » Son père avait été tué à Minden en 1759 en combattant l’ennemi héréditaire ; sa mère résidait le plus souvent à Paris ; mais deux femmes de cœur et de tête, une grand’mère. Mme de la Rivière, et une tante, lui parlaient souvent des gloires du passé et des devoirs de l’avenir.

Elevé dans la religion du nom, La Fayette, enfant, aimait errer sur les terres au climat froid qui n’avaient qu’à demi enrichi sa race [1]. Et dans les bois où plus d’un Chavaniac avait, au temps des guerres civiles, fait parler de son humeur belliqueuse, la tradition conte que le jeune chasseur de chimères rêvait de pourfendre la « bête de Gévaudan » en quelque combat héroïque.

Nous n’avons pas ici à retracer la carrière de La Fayette, mais seulement les instants de sa vie qui s’encadrent dans le milieu campagnard. Lorsqu’il partit pour l’Amérique, sa jeune femme, — elle est la fille du duc d’Ayen, — un Noailles, — demeurait en France, mère de deux enfants. Elle ne condamna point ce que certaines « têtes à perruques » qualifiaient de « folie de jeune homme. » Elle comprit ce départ vers les larges horizons et elle s’inclina devant les paroles de son mari : « J’espère qu’en ma faveur vous deviendrez bonne Américaine. C’est un sentiment fait pour les cœurs vertueux. Le bonheur de l’Amérique est intimement lié au bonheur de toute l’humanité. Elle va devenir le respectable et sûr asile de la Liberté... » Au retour d’Amérique, La Fayette est pris dans l’engrenage de la vie intense. Ses séjours à la campagne ne sont que de rapides échappées. Quand il est de loisir, il aime cependant jouer avec ses deux petites filles, Virginie et Anastasie, — et plus tard avec son fils Georges, — et leur inculquer

  1. Orphelin à l’âge de treize ans, La Fayette devint cependant très riche du chef de son grand-père maternel, le marquis de la Rivière-Kèroflets. Il accrut ses domaines d’Auvergne du marquisat de Langeac et autre » biens, mais il en dissipa la plupart.