Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le goût de la vie libre. Son intérieur est simple. Un peu théâtral toutefois le serviteur indien qu’il a ramené d’Amérique et qui, empanaché sous ses plumages nationaux, suit partout le général qu’il appelle « my father. »

Aux premiers jours de la Révolution, deux Américains, qui montrèrent alors un sens parfait des réalités, cherchèrent à signaler à La Fayette le danger de certains abîmes. En 1791, Washington lui écrivit pour le mettre en garde contre la « populace turbulente des grandes villes et des foules déchaînées. » Gouverneur Morris, dont il faut lire l’admirable « Mémorial, » lui parla des « craintes que pouvaient inspirer en France l’excitation de l’opinion et l’ignorance des règles politiques. » La Fayette passa outre. On connaît l’histoire de sa popularité, puis de ses désillusions. Dès la fin de 1791, il sent un abîme infranchissable se creuser entre la famille royale et lui, son crédit diminuer auprès du peuple. Ardent toujours, un peu désabusé toutefois, il vient à Chavaniac goûter la saveur de l’air natal et chercher une heure de trêve. « Me voici, écrit-il à un ami le 20 octobre 1791, arrivé dans cette retraite. : Je mets autant de plaisir et peut-être d’amour-propre au repos absolu que j’en ai pris depuis quinze ans à l’action qui, toujours dirigée vers le même but et couronnée par le succès, ne me laisse de rôle que celui de laboureur. »

La Fayette a emmené avec lui sa femme et une partie de sa belle-famille. Tout de suite, il s’improvise gentleman farmer. Il a fait venir du comté de Suffolk un practical farmer qui va introduire à Chavaniac des perfectionnements agricoles, étonner la routine villageoise par ses croisements de races bovines et de porcs d’Angleterre et du Tonkin. Par ailleurs, il bouleverse et remanie le château où une députation parisienne lui apporte une statue en marbre de Washington et une épée forgée avec un verrou de la Bastille[1]. Tandis que l’architecte Vaudoyer veille aux constructions, La Fayette s’occupe lui-même de l’aménagement intérieur. Dans la « Tour du Trésor, » il accumule des souvenirs de la Révolution, Dans sa chambre, une tapisserie d’Aubusson, — ce n’était point alors un luxe, — couvre les murs ; des rideaux de calemande bleus et blancs

  1. La Fayette, après la Révolution, ne fit plus que de brefs séjours à Chavaniac Ce château vient d’être acheté par des Américains qui y installent un sanatorium.