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drapent le lit à coquilles ; les meubles sont rares. Dans le cabinet de toilette : un simple lit de camp dont il fait usage et, — vision de la plus belle heure du cadran de sa vie, — sur la muraille, des scènes de la guerre d’Amérique... Mais à peine a-t-il « repris haleine, » pendant trois mois, à Chavaniac, que La Fayette est obligé de repartir. En janvier 1792, il prend un commandement aux armées... Puis, il se sent perdu : il voit se dresser le spectre de la guillotine. Il quitte la France après les tristes journées d’août, est arrêté par les alliés et interné à Olmütz.

Demeurée à Chavaniac, Mme de La Fayette allait y être arrêtée, en septembre 1792. Dans ces circonstances tragiques, la noblesse de son caractère et la liberté de son esprit ne se démentirent pas un instant. Amenée au tribunal du Puy, elle plaida elle-même sa cause avec une dignité simple. Elle écrivit à Brissot pour obtenir la faculté de rester tout au moins prisonnière à Chavaniac et sa lettre se terminait par cette phrase qui n’était pas sans hauteur : « Je consens à vous devoir ce service. »

Elle put, en effet, demeurer quelque temps à Chavaniac prisonnière sur parole. Elle y vécut dans l’angoisse avec ses jeunes enfants et Mme de Chavagnac-Montéoloux, née La Fayette, la vieille tante qui avait élevé son mari. Mais, de nouveau, elle fut arrêtée en octobre 1793 et incarcérée au Puy. Un souci la tenaillait au milieu des graves préoccupations de l’heure. Le vieux nid familial où s’étaient écoulés les jeunes ans de son mari allait-il être arraché à ses enfants, ruiné, démantelé ? Il n’en fut rien. Il y eut alors un de ces exemples de solidarité qui, dans les grandes époques de trouble, donnent souvent des forces aux victimes. Mme de Chavagnac était demeurée au château. C’était une femme d’un autre âge, entièrement ruinée dès avant la Révolution, fortifiée par l’épreuve et qui en imposait aux révolutionnaires. Elle tint bon jusqu’au jour où le château fut acheté, malgré la population mécontente [1], par un acquéreur de biens nationaux, — et, sitôt après, elle le racheta pour ses neveux. Elle n’avait point un sol vaillant... ; qu’importe ! Mme de Grammont, sœur de Mme de La Fayette,

  1. La Fayette avait su se concilier le peuple par de nombreuses munificences. Son régisseur d’Auvergne lui avait dit : « Monsieur le marquis, voici le moment de vendre votre pain. » — « Non, mon ami, c’est le moment de le donner. « (Archives de la Haute-Loire, C. 52).