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vendit en hâte sa part des joyaux héréditaires des Noailles et elle en versa incontinent le fruit à Mme de Chavagnac pour lui permettre d’acquitter sa dette. Ainsi fut simplement accompli un double geste pieux pour sauver le bien auquel tenaient si vivement les gentilshommes de la vieille France : la terre.

L’histoire s’est chargée de nous faire connaître le martyre de la famille de Noailles pendant la Terreur. On sait qu’après un an de détention au Puy, Mme de La Fayette fut transférée à la Force, le vestibule de la guillotine, puis à la prison du Plessis, cet ancien collège où s’était achevée l’heureuse jeunesse de son mari ! C’est de là qu’elle vit la mort faucher à grands coups : sa mère, son « ange de sœur, » la vicomtesse de Noailles, le maréchal et la maréchale de Mouchy tombèrent sur l’échafaud. Mme de La Fayette échappa au massacre et le 9 thermidor la sauva. « Remerciez Dieu, écrivit-elle à ses enfants, d’avoir conservé ma vie, ma tête et mes forces et ne regrettez pas d’avoir été loin de moi. Dieu m’a préservée de la révolte contre lui, mais je n’eusse pas longtemps supporté l’apparence d’une consolation humaine. » Et, parlant de ses parents : « L’idée de suivre des traces si chères, écrivait-elle, eût changé pour moi en douceur les détails du dernier supplice. »

Ce fut en 1793 seulement, vers la fin d’octobre, que Mme de La Fayette rejoignit son mari dans la prison d’Olmütz. Elle emmenait en Autriche ses deux filles et elle avait envoyé son fils en Amérique. Astreint au régime cellulaire, La Fayette savait à peine qu’il y avait eu une Terreur et il ignorait quelles en avaient été les victimes... Pendant deux ans, sa femme partagea volontairement avec lui la détention la plus dure. Le traité de Campo-Formio les délivra le 19 septembre 1797. Ce fut alors l’exil, dans la gêne, à Witmod, une petite ville de Hollande, où les La Fayette se groupèrent chez leur tante Mme de Tessé ; enfin, le retour aux champs, la rentrée si désirée sur le sol de France où, sous un nouveau toit, La Fayette va vivre pendant dix-sept ans dans la retraite et plus tard passer chaque été de sa vieillesse.


Au cours des temps paisibles que nous vécûmes dans les premières années du XXe siècle, on concevait malaisément ce que pouvait être le retour en France d’une famille d’exilés,