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morte depuis peu. Georges de La Fayette, revenu d’Amérique, a épousé Mme Destutt de Tracy, nièce du philosophe-agriculteur. C’est un satellite qui marche dans la trace brillante de son père et que n’animent point les mêmes ambitions.

La Fayette, sur ses vieux jouis, groupera autour de lui jusqu’aux petits-enfants de ses enfants. La famille a essaimé, formant de nombreux rameaux. Et parmi tous ses descendants, la tradition demeure encore, à l’heure présente, qu’il fut par son humeur aimable et par sa bonhomie le modèle des grands-pères.

N’oublions pas non plus les sœurs de Mme de La Fayette, qui vivent souvent à La Grange. Mme de Grammont est une petite femme aux trails prononcés, à l’aspect un peu raide. Neuf fois mère, elle a perdu huit enfants. Sous son aspect un peu austère, elle personnifie la bonté poussée jusqu’aux extrêmes limites et elle marche dans la vie « ayant toujours devant les yeux la pensée de son salut. » Son autre sœur, Mme de Montagu, celle dont un postillon de Courpalay dit qu’elle est « pire que bonne, » est voisine des La Fayette, car elle habite le château de Fontenay, sa part d’héritage du chef d’Aguesseau. Elle aime son beau-frère, malgré leurs divergences d’opinions. « Gilbert, écrivait-elle déjà en 1799, est tout aussi bon, tout aussi simple dans ses manières, tout aussi affectueux dans ses caresses, tout aussi doux dans la dispute, que vous l’avez connu-Il aime tendrement ses enfants, et malgré son extérieur froid, est affable pour sa femme. Il a des formes aimables, un flegme dont je ne suis pas dupe... »

Enfin, au château de La Grange, nous rencontrons l’inévitable douairière qui, — au lendemain de la Révolution, — évoque l’image de l’Ancien Régime dans tous ces manoirs à demi relevés de leurs ruines que nous ont dépeints Mme de Genlis et Mme de Souza. En l’espèce, c’est la comtesse de Tessé, née Noailles, veuve du premier écuyer de la reine Marie Leczinska et la plus spirituelle des femmes d’âge. Elle personnifie la vieille dame de qualité éprise avec fougue des idées nouvelles. Voltaire fut son ami et son dieu. La Fayette est son héros. C’est une silhouette qu’on aimerait dessiner à loisir, car elle est représentative d’un temps et d’un monde. Elle chevauche sur deux siècles. Son esprit est plein de chimères, d’utopies, et les horreurs de la Révolution n’ont rien enlevé de