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l’œuvre accomplie jusqu’à ce jour. Les Allemands sont entrés dans Strasbourg à la fin de septembre 1870, et leur Université n’a été ouverte que le 15 mai 1872. Les Français sont entrés dans Strasbourg le 22 novembre 1918, et leur Université était ouverte le 15 janvier 1919. Le rapprochement est rassurant.

Cette heureuse improvisation est de bon augure. Du reste, à mettre tout de suite la machine en marche, nous avons gagné d’en mieux connaître les rouages ; nous avons pu commettre, — sans grand dommage, — des erreurs, d’inévitables erreurs, qui eussent été beaucoup plus lourdes, peut-être irréparables, si nous avions prétendu faire du définitif avant toute expérience ; nous savons maintenant ce que souhaitent les Alsaciens ; nous avons suscité des discussions, des critiques qui ne sont point de pure théorie. Mais il ne s’agit plus d’improviser ; les temps du système D sont révolus. Il faut organiser à Strasbourg une grande, une très grande Université, qui réponde pleinement aux vœux de l’Alsace et aux exigences de l’intérêt national.


I. — LE PASSÉ DE L’UNIVERSITÉ

Si les Alsaciens se sont si fort alarmés, c’est qu’au premier abord tous les Français n’ont pas paru comprendre que, par sa situation, son passé, l’importance de ses établissements scientifiques, l’Université de Strasbourg ne pouvait être traitée comme une quelconque de nos universités régionales. Il est parmi nous des esprits timorés encore affligés de cette humilité et de ce doute de soi-même qui, durant un demi-siècle, ont engourdi l’initiative française. Persuadés que la France ne peut « faire mieux que l’Allemagne, » ils eussent accepté pour Strasbourg l’avenir médiocre dont s’accommode, chez nous, l’esprit provincial. Au lieu de stimuler leurs ambitions, la somptuosité des installations des Facultés allemandes les jetait dans un profond découragement : comment faire vivre tous ces instituts et tous ces laboratoires ? comment peupler cette « ville universitaire » ? M. Millerand dut protester publiquement que la France voulait fonder à Strasbourg une Université plus puissante et plus riche que la Kaiser-Wilhelms-Universität. Ces promesses ont-elles dissipé toutes les appréhensions ? Les Alsaciens aiment à cultiver leurs mécontentements ; ils ont été trop malheureux pour n’être pas incurablement sceptiques. et leur inquiétude