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de Châlons en direction de la Marne, on réussissait à franchir le fleuve entre Château-Thierry et Cumières et, après avoir, d’autre part, refoulé les troupes de Gouraud à travers le camp de Châlons, à border la Marne entre cette ville et Épernay, la Montagne de Reims, — magnifique entrée en jeu, — succombait avec ses défenseurs. Paris était définitivement coupé des armées de l’Est ; Verdun isolé tomberait peut-être comme un fruit mûr, — revanche du Kronprinz de Prusse. En tous cas, la grande manœuvre enveloppante à l’est de Paris deviendrait facile ; elle constituerait la seconde phase de la grande bataille.

L’opération essentielle serait, — parce que condition sine qua non du succès de la manœuvre, — le défoncement du front Gouraud entre Reims et l’Argonne. Sans doute, celui-ci était-il couvert à son centre par le massif de Moronviliers, la « région des Monts, » qu’il faudrait emporter de haute lutte ; mais depuis l’enlèvement des plateaux de l’Aisne, autrement difficiles à aborder et à conquérir, l’Etat-major allemand croyait tout possible contre l’armée française « affaiblie. » Il suffirait de renouveler le coup de la surprise et de l’attaque brutale ; enfoncé, le front de la 4e armée française serait facilement rejeté vers le Sud, en désarroi ; le camp de Châlons offrait moins d’obstacles à surmonter que n’en avait présenté, le 27 mai, la région entre Aisne et Marne qu’on avait cependant en moins de quatre jours conquise, car on n’aurait à y franchir, les « monts » emportés, aucun des obstacles qui, le 27 mai, se dressaient entre l’Ailette et la Marne : si l’on était alors arrivé à la Marne en trois jours, c’est en deux jours qu’on courrait la border d’Épernay à Châlons. De ce fait, la poche créée du 27 mai au 1er juin disparaissait et, la Marne occupée à l’Est de la Montagne de Reims, on pouvait sans inconvénient franchir le fleuve de Château-Thierry à Dormans, aborder les collines du Sud, venir chercher la bataille sur ces plateaux d’entre Marne et Grand Morin, théâtre de la défaite de 1914, — et y trouver sa revanche.

Aurait-on même besoin de livrer une seconde bataille ? Paris, menacé cette fois d’une façon indéniable et la France battue une fois de plus, l’Entente, privée de l’armée française en déconfiture, s’effondrerait et demanderait la paix. La paix, c’est ce que l’on proposait comme but immédiat à l’assaut : les soldats, tous les jours davantage, y aspiraient, toute l’âme suspendue