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l’autre provinciale, qui résidait dans les villes secondaires, étaient préparées par la culture grecque, par la culture latine, ou par les deux ensemble, à gouverner l’Empire, avec sagesse, justice et magnificence. Les beaux-arts, — sculpture, peinture, architecture — florissaient, bien que, pour satisfaire aux goûts d’un public trop vaste et cosmopolite, ils eussent perdu la simplicité et la pureté des grandes époques. La philosophie et la littérature étaient cultivées avec zèle, quoique sans grande originalité, par une foule croissante d’hommes et de femmes, dans les classes moyennes et les classes supérieures. Partout, même dans les petites villes, les écoles se multipliaient. L’étude qu’on tenait alors en plus haute estime, qu’on poursuivait avec le plus d’ardeur et qu’on jugeait digne des récompenses les plus élevées, était la jurisprudence. L’Empire fourmillait de juristes. Les qualités qui font un grand jurisconsulte, la perspicacité, la subtilité, la force dialectique, le sens de l’équité, l’esprit d’invention dans l’ordre des principes, menaient tout droit aux plus hautes charges de la cour et de l’armée. Apporter la justice au monde par un droit qui fût l’œuvre pure de la raison et de l’équité, était devenu la mission du grand empire que tant de guerres avaient fondé : mission noble et élevée entre toutes celles que pouvait se proposer un Etat du monde ancien, et qui réalisait complètement la grande doctrine d’Aristote, d’après laquelle le but suprême de l’Etat n’est ni la richesse, ni la puissance, mais la vertu. Les villes grandes et petites s’efforçaient dans toutes les provinces de construire de beaux édifices, d’établir des écoles, d’organiser des fêtes et des cérémonies somptueuses, d’encourager les études les plus en faveur de l’époque, de pourvoir au bien-être des classes populaires. L’agriculture, l’industrie, le commerce prospéraient, les finances de l’Empire et des villes n’étaient pas encore en trop mauvaises conditions, et l’armée était encore assez forte pour imposer aux barbares, rôdant sur les frontières, le respect du nom romain.

Cinquante ans plus tard tout cela est changé. La civilisation gréco-romaine agonise avec le polythéisme. Les dieux fuient leurs temples désertés et croulants, pour se réfugier dans les campagnes. Les aristocraties raffinées qui gouvernaient l’Empire avec tant de magnificence et de justice, et qui avaient édifié le grand mouvement du droit rationnel, ont disparu. L’Empire est la proie d’un despotisme tout ensemble faible et