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violent, qui recrute son personnel de fonctionnaires civils et militaires dans les populations les plus barbares de l’Empire. Les provinces d’Occident, y compris la Gaule et l’Italie, sont presque complètement ruinées. Les campagnes et les petites villes se dépeuplent ; ce qui reste d’hommes et de richesses va congestionner quelques grands centres ; les métaux précieux disparaissent ; l’agriculture, l’industrie et le commerce dépérissent ; les arts et les sciences périclitent. Tandis que les deux siècles précédents s’étaient efforcés de réaliser dans l’Empire une grande unité politique par-dessus l’immense variété des religions et des cultes, l’époque nouvelle qui commence va créer une grande unité religieuse, au milieu du morcellement de l’empire. La civilisation gréco-latine, détruite dans ses éléments matériels par l’anarchie, la dépopulation, la ruine économique, est décomposée dans sa vie spirituelle par le christianisme, qui remplace le polythéisme par le monothéisme et s’efforce de bâtir une société religieuse universelle, uniquement préoccupée du perfectionnement moral, sur les ruines de l’esprit politique et militaire. En somme la civilisation antique n’est plus qu’une immense ruine. Aucun effort humain ne réussira à en empêcher l’écroulement final. Comment s’explique un pareil changement ? Qu’est-il donc arrivé pendant ces cinquante années.


I

Pour comprendre cette grande crise de la civilisation humaine, il faut remonter aux débuts de l’Empire et comprendre la nature de l’autorité impériale telle qu’elle s’était formée au sein de la petite république latine. Les historiens persistent à faire de l’empereur romain, aux deux premiers siècles de notre ère, un monarque absolu, conçu selon le type des dynasties qui ont gouverné l’Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Et, en vérité, l’empereur romain ressemblait aux monarques des siècles derniers soit en ce que son pouvoir durait autant que sa vie, soit parce que si ce pouvoir n’était pas à proprement parler absolu, il était assez grand pour que la différence d’avec un pouvoir absolu n’apparaisse pas immédiatement à des esprits habitués aux formes et aux principes