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et constitutionnel le Sénat ne fut pas à même de revendiquer ce droit au point de pouvoir l’exercer dans tous les cas et avec toute la liberté nécessaire : si bien que quelquefois il choisit et imposa à l’Empire le chef de son choix, mais qu’il lui arriva aussi, dans d’autres, de devoir se contenter de ratifier le choix fait par d’autres forces sociales. Nerva, par exemple, fut choisi par le Sénat, mais Tibère fut imposé au Sénat par une situation politique et militaire qui n’avait rien de commun avec les préférences et les vues de l’illustre assemblée ; Claude et Néron furent imposés par les prétoriens ; Vespasien par la victoire et les soldats. De Nerva à Marc-Aurèle, durant la période la plus brillante de l’Empire, on adopta un système mixte : l’empereur choisissait dans le Sénat, et d’accord avec le Sénat, l’homme qui lui semblait le mieux qualifié pour lui succéder ; il l’adoptait comme fils, l’associait au pouvoir comme aide et adjoint.

L’empereur mort, le Sénat, en conférant au fils adoptif le pouvoir impérial, ne faisait que ratifier un choix auquel il avait déjà consenti. En somme, il y avait dans l’Empire un corps pouvant et devant élire l’empereur ; mais ce corps, le Sénat, n’eut pas toujours l’autorité et la force nécessaire pour exercer la plénitude de son pouvoir, et se borna souvent, au lieu d’élire l’empereur, à ratifier le choix de l’empereur choisi par d’autres. Cet office pourtant lui resta toujours acquis : l’autorité d’aucun empereur ne fut légitime avant qu’il l’eût reçue du Sénat, moyennant la lex de imperio. Le sénat romain sous l’Empire pourrait donc se comparer aux parlements de bien des états modernes qui, en principe, devraient choisir, mais en réalité ne font très souvent que légitimer, par leur approbation les gouvernements élus par la cour ou par des coteries puissantes, étrangères au parlement. C’est pour cette raison que les historiens modernes affectent à l’ordinaire un grand dédain pour le Sénat de l’époque impériale, qu’ils considèrent comme une momie laissée en héritage par la République à l’Empire, vénérable, certes, mais inutile et encombrante dans la nouvelle constitution. Le XIXe siècle a fait trop de révolutions et il s’est trop habitué à confondre l’autorité avec la force pour pouvoir apprécier au juste une institution dont le rôle était d’imprimer à l’autorité impériale le caractère indélébile de la légitimité. Mais maintenant que la Révolution, brusquement