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Fouché, tant qu’il s’est agi d’une affaire où des militaires se trouvaient compromis, même avec quelques obscurs terroristes, ne s’en est nullement soucié et, quoiqu’il doive trouver singulièrement hardie l’initiative du préfet de Police, il l’a laissé agir ou du moins il ne l’a pas formellement traversé ; mais, du jour où Florent-Guyot découvre les membres du Sénat et où son témoignage, autrement valable que celui de Malet, peut compromettre les Jacobins nantis, il n’en va plus de même. Désormais Fouché va donner tout entier pour couper les chiens du préfet et les détourner de pistes qui les mèneraient trop loin. Qui sait ? jusqu’au quai Voltaire ? au ministère de la Police générale ?

Mais comme Cambacérès et Dubois envoient à Bayonne les doubles des interrogatoires, Napoléon n’est point dupe ; il a toute raison de suspecter dès lors Fouché, que la plupart des individus arrêtés n’ont eu garde d’inculper, mais qu’a cité pourtant le général Guillet [1] dans des termes que leur ton rend vraisemblables. Sentant tout cela, l’Empereur écrit à Fouché : « Je reçois votre lettre du 13 juin. Les interrogatoires de Jacquemont et de Florent-Guyot m’ont fort surpris. Je suis loin de n’y voir, comme vous, rien de nouveau : j’y vois évidemment un complot dont l’un et l’autre sont. Quelle est la société que fréquentent ces individus ? Benjamin Constant doit être là-dedans. Cette canaille sera-t-elle toujours protégée à Paris ?

« Dans vos derniers numéros, vous me parlez encore de divorce. Ce sont ces conversations qui alarment l’opinion et font naître le trouble dans le pays le plus tranquille du monde. Si chacun dormait l’exemple de faire son devoir, et ne faisait que cela, bien des choses n’arriveraient pas.

« Je ne soupçonne pas Garat, mais c’est une tête si faible et qui est mise à de si rudes épreuves dans les conversations.

  1. Le général Guillet dans sa confession au préfet de Police, en date du 11 juin, a écrit de Malet : « Il s’assit au pied de mon lit et me conta mille absurdités qui ne me permirent plus de douter de sa folie. Vous en aurez une preuve, monsieur le Préfet, quand vous saurez qu’il me dit qu’une Commission du Sénat composée entre autres personnes de MM. Garat, La Fayette, Colaud, allait mettre l’Empereur hors la Loi, que Son Excellence le ministre Fouché voulait bien entrer dans la conspiration et qu’il avait à cet effet dit à un sénateur que l’Empereur était fou, qu’il n’entendait rien en politique et en diplomatie, et qu’il était temps de séparer leurs intérêts des siens. »