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Certes, la conspiration existe, mais elle est double : l’une, dont on n’a point trouvé le secret, s’est passée en des conversations entre trois, quatre, cinq personnes au plus : Malet, Florent-Guyot. Jacquemont, et dans la coulisse, Destutt de Tracy, Garat, peut-être quelques autres, mais celle-ci est le paravent. La conspiration effective et qui n’a point eu besoin des sénateurs pour s’organiser, pour forger des armes, et imprimer des décrets, est celle tramée entre Jacobins obscurs, dans un Salon particulier de marchand de vins. C’est de cette façon que se sont amorcés et que s’amorceront durant le XIXe siècle entier, les attentats effectifs contre le souverain. Seulement ici, les pièces de conviction ont échappé, et c’est ce qui donne une force au raisonnement de Fouché.

« Sans doute, dit-il en terminant, il faut réprimer les écarts dans lesquels sont tombés les individus arrêtés : la tranquillité intérieure demande que plusieurs d’entre eux soient sévèrement punis et mis dans l’impossibilité d’apporter de nouveaux troubles, en les séquestrant de la Société. Mais faut-il pour cela l’appareil de la Haute-Cour ? Non sans doute ! Quand on en aurait la preuve, des considérations politiques très puissantes les feraient certainement rejeter. Au lieu d’occuper l’Europe entière de pareils détails, le chef de l’Empire trouvera sans doute plus sage, et également utile à la sûreté publique, de comprimer par des mesures sans éclat, les efforts des malintentionnés et saura faire le discernement des véritables coupables et de ceux à qui on n’a eu à imputer que des imprudences et de la pusillanimité. »

Mais quand a-t-il été question d’une Haute-Cour ? et pourquoi une Haute-Cour, lorsqu’un conseil de guerre suffirait ? Une Haute-Cour, ce serait si l’on mettait en jugement des sénateurs, ce dont il ne fut jamais question. Derrière cet épouvantait de la Haute-Cour, comment Fouché s’arrange-t-il pour faire disparaître la conspiration effective et la nier ? Avant d’étouffer ainsi, dans des prisons opportunes, le secret des menées criminelles, n’y aurait-il pas eu lieu de les pénétrer, de constater la part de sérieux qu’elles présentent ?

L’Empereur a la sensation que Fouché prétend se garder en réserve, sinon une révolution, du moins des révolutionnaires et que ses menées secrètes vont plus loin qu’une rivalité d’influence avec le préfet de Police. Si celui-ci paraît aussi