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gothiques les mêmes murs et les mêmes places qu’autrefois. Tout à l’heure, les chevaux couraient devant le palais Sansedoni et devant d’autres palais qui n’ont pas plus changé que le Palais de la Commune. Passé et présent ne font qu’un aux yeux du peuple de Sienne. Ce qui nous semble une résurrection n’est qu’une continuation de sa vie et d’une vie en champ clos. Il a su se défendre de l’infiltration des étrangers. Il est possible que Sienne leur ouvre son cœur, comme le proclame l’inscription de la porte Camollia : Cor Magis Tibi Sena Pandit ; mais si elle leur avait ouvert ses murs, depuis beau temps le Palio n’existerait plus. « Je suis Toscan, me disait un maître de l’Université, mais je n’arriverai jamais à sentir le Palio comme un Siennois, comme ces Siennois qui se consument de nostalgie lorsqu’ils sont à cette époque dans un pays lointain, comme ceux qui reviennent du bout de l’Europe pour y assister, comme ceux qui, atteints d’une maladie de cœur, risquent la mort ce jour-là sur la Piazza del Campo ! » Il aurait pu ajouter : « Comme un socialiste siennois. » Quelques échauffés du parti, étrangers ou politiciens, demandèrent l’abolition de cette survivance du moyen-âge. A ce bruit, la ville s’émut, et les membres socialistes des contrades s’insurgèrent, car ils pensaient tous ce que l’un d’eux répondit au franc-maçon qui lui reprochait son rôle de porte-drapeau : « Je suis doublement fier, d’abord d’être socialiste, puis de savoir agiter ma bannière, et je vaux mieux qu’un socialiste sans bannière. »

Heywood, un des rares Anglais avec Langton Douglas qui ont compris la beauté de cette fête, nous raconte que des impresarii offrirent des sommes fabuleuses aux pauvres gens des contrades, s’ils voulaient organiser une tournée de représentations dans les grandes villes. Ils éclatèrent de rire. « Nous ne jouons pas le Palio, répondaient-ils : nous le vivons. Nous le nourrissons du feu de notre âme. »


II. — LA VIEILLE COMMUNE

Si tout Sienne n’est pas dans le Palio, le Palio nous introduit au cœur de Sienne. On a souvent opposé à ses remparts inébranlables son humeur changeante, à ses lourds palais sa frivolité, la fureur de ses discordes à sa fierté patriotique, son appétit de jouissances à son mysticisme. Mais il faut se défier