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Mais ce rapide coup d’œil sur la vieille cité ne nous découvre point l’esprit de son peuple ; et c’est par là surtout que Sienne se distingue des autres communes médiévales.


III. — LA PUKSIE DE SIENNE

Elle se proclame la Cité de la Vierge. La veille de Montaperti, son syndic Buonaguida Lucari, tête nue, pieds nus, suivi de la foule suppliante, vint à la cathédrale, et là, ayant reçu le baiser de paix de l’évêque et s’étant prosterné sur les dalles, adjura la Vierge d’accepter la suzeraineté de la ville et du pays de Sienne. Tous les pouvoirs religieux et civils furent témoins que le peuple la reconnaissait pour reine et maîtresse. Mais, en lui signifiant leur hommage lige, ils lui signifiaient aussi qu’elle eût à les défendre. Leur victoire leur parut être comme le sceau de la Vierge apposé au bas du contrat. Sienne fut vraiment sa ville. Non pas au sens mystique : le culte dont on l’entoure est d’essence féodale. Le mystique se donne, se livre à la Divinité, s’abîme en elle, sans rien lui demander en échange. Les Siennois ont conscience de leurs faiblesses individuelles, mais encore plus de la valeur du présent qu’ils lui font ; et ils exigent qu’elle les paie de retour. Il y a entre eux réciprocité d’obligations. Lorsque, un demi-siècle plus tard, le 9 juin 1311, Duccio peignit sa Vierge entourée de saints et d’anges, un long cortège de magistrats et de notables porta à la cathédrale, aux sons des cloches et des musiques, ce miracle de l’art. Et Duccio disait que la Vierge devait lui être reconnaissante de l’avoir faite si belle. Les Siennois comptaient sur sa gratitude pour l’avoir faite si puissante.

Ils ne manquaient à aucun des devoirs officiels de leur vasselage. Chaque année, ils lui renouvelaient leur vœu de fidélité, la veille du 15 août, tous les citoyens, de dix-huit à soixante-dix ans, escortaient jusqu’au Dôme le Carroccio chargé d’offrandes. C’était la fête de famille à laquelle les étrangers ne sont pas admis. Mais, le lendemain matin, une autre procession traversait la ville. Les mandataires de toutes les cités, villages, châteaux, monastères, alliés ou conquis, descendants d’anciens comtes et abbés mitrés, venaient solennellement répéter leur hommage à la commune victorieuse, devenue seigneurie féodale. Sous le porche de l’église, ils remettaient entre les mains