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d’un simple secrétaire la cire et les drapeaux qu’ils avaient apportes à la suzeraine de leurs suzerains.

Son image est partout. On la voit sur les vieux registres de la Biccherna et de la Gabelle dont on faisait enluminer les couvertures. Les principaux événements de l’histoire de Sienne y sont illustrés. La Vierge en est rarement absente. Tantôt, dans une robe d’un rouge foncé et sous un manteau d’un bleu sombre, elle prie pour la Cité : Hæc est civitas mea ! Tantôt elle déploie un manteau d’azur sur le peuple agenouillé. Tantôt elle plane au-dessus des tours et regarde son peuple d’un air compatissant. Tantôt on la conduit à l’église au milieu des lumières. Les années de peste, elle se tient à la porte de la ville et montre au Bambino les hommes désolés qui, la main sur leur cœur, se prosternent dans la poussière.

Cette figure allongée et penchée de vierge byzantine, aux yeux en amande sous un front assez bas, vous poursuit à travers les églises, les palais, le musée. Elle ne sourit pas. Elle est grave, pensive, sans autre éclat que tout l’or qui l’entoure, quelquefois avec une nuance d’étonnement, quelquefois même avec l’ombre de dureté que pose sur les traits la représentation solennelle ou l’appréhension du malheur. On dirait qu’elle prévoit ce qui attend l’enfant qu’elle porte sur son bras. Elle ne ressemble jamais aux femmes du pays. Sur le retable de Duccio, c’est parmi les anges et les saintes que vous trouverez ces visages siennois, dont le profil passait pour être aussi beau que le teint des Bolonaises et les yeux des Florentines. Mais elle, sous son diadème, a toujours l’air d’une reine en exil. A l’église des Servi, la Vierge du Peuple de cet admirable Lippo Memmi me serrait le cœur, tant la courbe de son visage est modelée par la tristesse. Son enfant, le Bambino, se rapprocherait bien plus des petits enfants qu’on rencontre dans les rues, si sa grosse tête aux cheveux bouclés n’avait pas une telle expression de précocité sérieuse. Pourquoi les peintres siennois, ces grands amoureux de la Madone, sont-ils restés si longtemps fidèles an type byzantin ? Affaire d’école et de tradition, sans doute. Mais pour moi qui n’éprouve devant les Vierges de Raphaël qu’une impression de suavité tout humaine et qui ne peux les séparer de la vie ordinaire, je me demande si ce type étrange et lointain ne nous rend pas plus sensible la distance entre nous et la Reine du Ciel. Il était peut-être bon