Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que cette Majesté divine eût quelque chose que n’avaient pas les beautés familières, qu’on ne fût point exposé à la confondre dans ses rêves avec les patriciennes du contado, comme il était bon que Sienne choisit chaque année son podestat parmi les étrangers. Sa condition de Lombard ou de Romagnol l’élevait au-dessus des partis, et quand il entrait dans la ville avec ses sbires et ses notaires, la singularité de leur équipement et de leur dialecte rehaussait aux yeux du peuple le prestige de sa magistrature.

Cependant la Vierge siennoise a perdu de son caractère hiératique. Sa rigidité byzantine a fondu sous la grâce de la maternité. On ne sent pas seulement dans cette Vierge royale la créature la plus noble de la terre, la descendante, s’écriait saint Bernardin, « de quatorze Patriarches, de quatorze Rois et de quatorze Ducs ! » On sent aussi la mère. On répéterait volontiers en la contemplant les paroles de Bossuet, quand il considère le Sauveur entre les bras de la Vierge, suçant son lait virginal, ou se reposant doucement sur son sein, ou enclos dans ses chastes entrailles : « Qui pourra croire, dit-il, qu’il n’y a rien eu de surnaturel dans la conception de cette Princesse ? » Paroles ravissantes ! Je n’en trouve pas qui expriment mieux la pureté et la dignité que les peintres de Sienne ont su donner à la protectrice maternelle de leur cité.

Son culte a été la grande poésie des Siennois ; et cette poésie a été presque toute leur religion. On parle souvent de leur mysticisme, parce que des mystiques se sont levés parmi eux et que leur terre a produit une floraison de saints. Dira-t-on que le peuple anglais, qui a eu des poètes étonnants, est un peuple éminemment poétique ? Je ne mets point en doute leur foi ni leur piété. Au temps où les prédicateurs dénonçaient leur corruption, on brûlait annuellement dans la chapelle du Palais pour seize cents francs de cire sans compter l’huile, et tous les matins la Seigneurie assistait à la messe. Mais, chez ce peuple à la fois impressionnable et frondeur, la piété n’a jamais été un sentiment très réfléchi. Un prêtre siennois m’avouait que, sans les contrades, Sienne serait la ville la plus anticléricale de l’Italie. « Elle a eu des heures d’exaltation, me disait-il, point de jours ni d’années. Notre peuple n’a jamais ressenti la fièvre religieuse qu’un Savonarole propageait à Florence. Il écoutait ses apôtres, prenait un réel plaisir à les entendre, puis retournait