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Je viens m’asseoir jusques au soir.
Grand’mère, de qui je me cache,
Dit : « Loïc aime trop sa vache. »
Oh ! nenni da ;
Mais j’aime la petite Anna.


Ce qu’il faudrait pouvoir citer, c’est la musique, c’est l’accent, l’éclat vraiment comique de ce : « vache, » dont elle fait le centre ou plutôt le sommet du tableau sonore.

Un contre-chant de cor accompagne le second couplet. Et quand vient le quatrième et dernier, pour ajouter sans doute à l’impression de « poésie » et de mystère, le cor doit se faire entendre de nouveau, « dans un appartement un peu éloigné du piano. » Voilà, quelque cinquante ans avant Parsifal, un exemple de la musique à plusieurs étages, ou tout au moins à plusieurs chambres.

La Captive, (poésie de Victor Hugo), n’offre guère autre chose qu’un cliquetis hispano-mauresque de convention, naïf et plaisant par cette naïveté même. Le seul vers : « Si je n’étais captive, » repris pour la dernière fois, rappelle vaguement l’admirable plainte de Marguerite dans la Damnation : « D’amour l’ardente flamme. »

Ardente, mais contenue, cette flamme anime l’Absence, l’unique mélodie vraiment belle du maître romantique. Elle n’a rien de la « romance, » celle-là. Brève, passionnée, intense, elle enferme en peu de notes, mais fortement expressives, et surtout en l’appel répété : « Reviens, reviens, ma bien-aimée, » un sentiment comparable, pour la noblesse et l’énergie ramassée, à celui que respirent certains chants beethoveniens.

En 1840, quatre ans avant la Belle Isabeau, cinq ans avant le Chasseur danois, un jeune homme de vingt-deux ans, pensionnaire de l’Académie de France à Rome, mettait en musique, en une tout autre musique, des paroles tout autres aussi : le Soir et le Vallon de Lamartine. Il s’appelait Charles Gounod. Si brèves que soient l’une et l’autre pages, elles ont, en leurs dimensions modestes, une valeur exemplaire. Elles marquent, dans l’histoire de la musique et de la « mélodie » française, l’avènement d’un stylo personnel et d’un idéal nouveau. Un mot du vieux Grétry nous revient souvent à la mémoire : « Il y a chanter pour chanter et chanter pour parler. « La musique