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au rythme, au mode, à l’ondoyante ritournelle, au chatoiement des harmonies irisées qui se fondent les unes dans les autres, par une dégradation insensible et ravissante. Il y a là quelque chose de changeant, quelque chose qui flotte, qui se dérobe et fuit. Quelque chose aussi d’inédit, ou d’inouï jusqu’alors, et qui n’a pas été perdu. Si, comme dit l’autre, « on est toujours le fils de quelqu’un, » la première origine du Clair de lune de M. Gabriel Fauré pourrait bien être dans la Venise de Charles Gounod.

De Lamartine et de Musset à M. Jean Richepin, la distance n’effraya pas le maître vieillissant. Dix ans avant sa mort, le 18 février 1883, il écrivait : » Ma chanson de la Glu est faites Hier soir, je l’ai chantée chez A... Ils ont tous été empoignés. C’est sauvage. » Peu de jours après, le 1er mars : « Richepin sort d’ici. C’est un beau garçon, sain, robuste. Un bon regard franc. Je lui ai chanté la chanson de la Glu. Il m’a embrassé en sanglotant. » Ils avaient tous raison, les auditeurs et le poète. Ni leur émotion ne se trompait, ni ses larmes. « C’est sauvage, » et, chanté par Gounod, il m’en souvient, c’était presque atroce. Tout de même la Chanson des Gueux ne fut et ne pouvait être qu’une fois sa chanson. Le grand, le vrai Gounod, dans l’ordre ou le genre de la « mélodie, » reste celui du Rossignol, du Soir et du Vallon, le Gounod lamartinien, le Gounod dont le chant profond, pur et tendre, ignorant le trouble et la violence, respecte et même accroît en nous ce que Goethe appelait le trésor sacré du repos.

Un de ses disciples préférés et fidèles, M. Paladilhe, n’y porta non plus nulle atteinte. Dans une anthologie des « mélodies » françaises, il faudrait faire une place à ce musicien, trop oublieux de lui-même et trop souvent silencieux. Je sais mainte pièce de vers que d’autres ont chantée, et qu’il a chantée, lui, mieux que personne : celle de Victor Hugo « Si tu veux, faisons un rêve, » et surtout le lamento de Théophile Gautier : « Ma belle amie est morte. » Gounod aussi l’avait mis en musique et ne cachait pas sa préférence pour l’inspiration qui n’était pas la sienne. Quant à la populaire Mandolinata, que le jeune, tout jeune « prix de Rome » rapporta de là-bas, naguère, avec ses vingt ans, on en pourrait dire à peu près ce que d’Annunzio disait un jour d’une autre chanson d’Italie : « Ceci n’est point l’âme vraie de Venise…………