Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mélodies de Massenet. Qui de nous, écrivant ou parlant de musique, n’envierait au grand romancier une aussi juste transposition de l’ordre musical dans l’ordre littéraire, une aussi fine analyse, en quelques mots, de quelques sons !

Lied, en effet, soit quelque chose de plus intime et de plus familier qu’une mélodie ; courtes phrases errantes, coupées de silences, le chant de Massenet est bien tout cela ; gravité tendre, mélancolie inquiète, un peu nerveuse, c’est bien aussi tout cela qu’il exprime. Faut-il même l’appeler chant ? Plutôt murmures et soupirs. Ici, plus rien de symétrique ou seulement de régulier. C’en est fini des strophes. Et presque plus rien de formel et de précis. A ce vague, à cette fluidité, l’on reconnut jadis un art nouveau. Art subtil, dont le charme après un demi-siècle, et plus, ne s’est pas évanoui. Il nous enveloppe, il nous possède toujours, et d’aucuns ont pu se demander si Manon même, ou Werther, fit plus d’honneur à la maturité du maître, que n’en avait fait le Poème d’avril à sa jeunesse. D’autres « poèmes » suivirent celui-là, sans l’égaler toutefois, hormis le Poème du souvenir, qui le surpasse, et demeure à notre gré le chef-d’œuvre de ce groupe choisi. Chacun de ces petits recueils forme une suite, un « cycle, » dans la manière de Schubert et de Schumann. Elle était inusitée chez nous avant Massenet, et plus d’un musicien l’a reprise après lui.

Elle a porté bonheur à M. Widor. Nos chanteurs et nos cantatrices feraient bien de ne pas oublier les Soirs d’été (sur des vers de M. Paul Bourget, ce qui ne gâte rien). Ici, comme en certains « poèmes » de Massenet, — agrément auquel on sait que les Anciens déjà n’étaient pas insensibles, — la voix chante et déclame tour à tour. Soirs mélodieux, inégaux en lyrisme, il y en a là de « sereins et beaux, » comme ceux qu’aimait le poète ; il en est de sombres et d’orageux. Si nous ne recevons de telle ou telle cantilène qu’une impression légère, d’autres pénètrent en nous plus avant et jusqu’au fond. Élégie délicieuse, d’où se dégage une tristesse attirante, l’Ame des lys ou le Silence ineffable de l’heure n’est tout de même qu’une élégie. Mais le dialogue de la Douleur et du Soir s’élève au plus haut degré du pathétique. Diverse par le sentiment, la musique de M. Widor ne l’est pas moins par la forme : ici, librement partagée entre le récitatif (ou la mélopée), et la mélodie pure ; ailleurs, plus définie, plus mesurée et rien que