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chantante. Sans compter que déjà tout chante en elle, le piano, — je dirais presque la symphonie, — autant que la voix. Peu à peu la mélodie accompagnée se transforme en mélodie concertante. Et c’est peut-être le signe où l’évolution générale du genre dont nous considérons la suite, se rapporte et se reconnaît le plus sûrement.

« Practical » et « poetical basis. » Nos confrères anglais définissent volontiers par ces deux mots les deux éléments de l’art musical. Dans un ordre comme dans l’autre, mais dans le second surtout, celui de la » poésie, » ou de la sensibilité, c’est de Massenet que les Soirs d’été de M. Widor révèlent par moments l’influence. Les premières mélodies de M. Reynaldo Hahn, un élève du maître, y pouvaient moins encore échapper. En dépit des pédants et des mandarins, bon nombre de ses autres chants ont une grâce subtile, un charme frêle, qui leur est propre. J’accorde que parfois une certaine préciosité s’y mêle. Mais ne croyez-vous pas qu’il existe, même en musique, des précieuses qui ne sont pas ridicules, et dont l’élégance est préférable, — fùt-elle un peu mièvre, — à certaine prétendue puissance qui n’est que lourdeur et brutalité ? Sans compter que, parmi les mélodies de M. Reynaldo Hahn, on en citerait de simples, voire de fortes, ne fût-ce que ces Trois jours de vendange (poésie d’Alphonse Daudet), enlevés de verve, — les peintres diraient « de chic, » — et dont la saine vigueur est faite également de la frappe du rythme et de l’éclat de la tonalité.

C’est pour sa langueur au contraire qu’on a tant aimé L’Offrande, et qu’on l’aime toujours. C’est pour la mollesse, pour la défaillance de ce chant fatigué, meurtri, qui jamais trop ne s’élève, et qui pose, ou repose, sur un fond d’accords entrelacés, ou conjugués, comme lui-même tristes et doux. Oui, dans cette « mélodie, » l’harmonie, ou plutôt une suite, un jeu d’harmonies a sa part, aussi grande que celle du chant. Une sorte de va-et-vient harmonique sert également de base, ou de pédale, à la plainte, verlainienne comme l’Offrande : « Le ciel est par dessus le toit, si bleu, si calme. » Calme elle-même, égale et tout unie, un seul accent en hausse le ton et l’avive. Mais il s’amortit aussitôt. En vérité, la musique ici, pénitente et contrite, a presque le sens, non plus ironique et plaisant, mais sérieux, mais sincère et chrétien, de cette phrase de je ne sais