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l’impression très vive, ou peut-être l’illusion. Grand musicien et grand voyageur, — bien qu’il n’ait pas, croyons-nous, poussé jusqu’en Perse, — les voyages de M. Saint-Saëns, on le sait, n’ont pas été perdus pour la musique. On ferait un petit atlas avec un certain nombre de ses compositions. Enfin n’allons pas oublier, parmi nos exotiques, l’artiste original que fut Bourgault-Ducoudray. L’auteur de la Rapsodie Cambodgienne et de Thamara l’est également d’une mélodie, qui seule ici nous intéresse : l’Hippopotame poésie de Théophile Gautier). Un animal, et lequel ! au lieu d’un paysage, est pris ici comme le premier terme du fameux rapport dont « un état d’âme » est le second. La première strophe décrit l’énorme bête, et dans la suivante (Je suis comme l’hippopotame), nous lui sommes comparés. La musique de l’une et de l’autre est à la taille du sujet, et ce n’est pas peu dire. Elle en a su rendre avec la même grandeur, avec la même force, et la matière, et l’esprit.


Revenons maintenant aux choses et aux sentiments de chez nous, à ce que nous avons, autour de nous, en nous, de plus nôtre. L’un des maîtres, et, si M. Henri Duparc n’existait pas, nous dirions le maître de la mélodie française contemporaine, (mettons en ce dernier demi-siècle), celui qu’on a souvent appelé notre Schumann et que vous avez déjà reconnu, c’est M. Gabriel Fauré. Par lui, les deux éléments du genre, ou de la forme, le chant et l’accompagnement, ont été renouvelés. Pour bien juger, et sur un seul exemple, de l’importance et de la qualité de ce renouveau, il suffirait de comparer au Soir de Gounod, le Soir par où se termine le second recueil de M. Fauré. L’une et l’autre mélodie n’ont de commun que le titre. Elles diffèrent peut-être encore plus que ne sont diverses les deux poésies de Lamartine et d’Albert Samain. Plus de strophes d’abord, je parle de strophes musicales ; un enchaînement continu, sans reprises, ni repères, hormis, au début de la troisième strophe poétique, un rappel des deux mesures initiales. Et presque tout de suite, au lieu de la belle et pure simplicité de Gounod, quelle complexité, quelle recherche, mais délicieuse ! La mélodie elle-même n’est pas simple. « J’allais, » chantera M. Fauré plus tard, avec Verlaine cette