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Nous voici devant les dernières de nos mélodies françaises, mais non pas les moindres. Vieilles de quarante années peut-être, les mélodies de M. Henri Duparc ne sont même pas, il s’en faut, les dernières par l’âge. Bien d’autres ont paru depuis, dont nous avons parlé, ou que nous pourrions signaler encore. De celles-ci pourtant mieux vaut nous taire. Pourquoi ? Pour une raison qu’en termes analogues Renan et, croyons-nous, Brunetière, ont formulée tour à tour. « En art », a dit l’un, « la sympathie est la grande méthode. » Et l’autre : « On ne devrait écrire que de ce qu’on aime. « A ce compte-là, que n’écrirait-on pas de l’Invitation au voyage, de Phidylé, du Lamento, de la Chanson triste et de la Vie antérieure ! Il n’y a pas là plus de vingt ou trente pages. C’est peu. Mais « vray est que ce peu plus est délicieux que le beaucoup » de tel ou tel. Cinq ou six mélodies, mais autant de chefs-d’œuvre, et classiques, si par ce mot nous entendons encore, avec les Anciens, les œuvres, comme les hommes, les citoyens, de la première classe, ou du premier rang.

Mélodique, harmonique et symphonique, en ces trois ordres, l’imagination de M. Duparc a même puissance et même grandeur. Sa pensée musicale est de celles qui, du premier élan, vont très loin, volent très haut, et s’y soutiennent. Je ne connais pas de chants animés d’un souffle plus fort, alors même qu’il est calme, et d’une vie plus intense, que d’ailleurs elle se contienne ou qu’elle se répande. La beauté de la Chanson triste et des arpèges, admirables de richesse, qui l’enlacent, est faite ainsi de je ne sais quelle plénitude sonore. Plus belle encore, la Vie antérieure l’est d’une beauté diverse et sans cesse renouvelée.


J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux.
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.


Droite et majestueuse elle-même, la strophe musicale est fondée sur le ton et sur l’accord immuable d’ut majeur. La période suivante s’élève par degrés. Chant, accompagnement, modulations, la musique tout entière se meut et s’émeut. Comme la poésie, mais avec un bien autre éclat, elle évoque