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un monde grandiose, féerique, de formes et de couleurs. Le luxe du verbe, et du verbe de Baudelaire, n’est rien ici auprès de la magnificence des sons, de l’éclair de certaines notes, de la splendeur de certains accords.


C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes.


Sur ce vers, voluptueuse encore, mais déjà calmée, par les mêmes degrés qu’elle avait gravis, la musique va descendre. Elle s’exaltait, elle s’apaise. Lyrique toujours, elle ne l’est plus que d’un lyrisme pour ainsi dire intérieur, et son rêve somptueux s’achève longuement, en nostalgique, en douloureuse rêverie.

La voix s’est tue, et pendant quelques mesures le piano continue de chanter. Son rôle d’accompagnateur et de subalterne est bien fini. Dans l’Invitation au voyage, tout chante également, toujours. Tout, et dès le début, jusqu’à ces couples d’accords voisins, plus que voisins, qui s’effleurent et, rien qu’à s’effleurer, frissonnent d’un long, doux et triste frisson. Partout sans doute la voix prédomine. Mais quand vient la dernière strophe, les mêmes ondes, ridées à peine, qui ne faisaient que la soutenir, la soulèvent et l’emportent. Rapides, serrés, les arpèges multiplient et précipitent leurs vagues de lumière. Sur certains mots, certaines notes jettent vraiment des flammes. Tout rayonne et resplendit. Nous .sommes ici devant une « gloire » sonore.

« Comme une aile au pied du vers posée. » Jamais la note n’a mieux justifié la flatterie de cette image. Jamais la musique n’a plus exalté, magnifié la poésie. Phidylé surtout, la Phidylé qui parle seulement, n’est rien auprès de celle qui chante aussi.


L’herbe est molle au sommeil sous les frais peupliers
Aux pentes des sources moussues,
Qui dans les prés en fleurs germant par mille issues,
Se perdent dans les noirs halliers.

Repose, ô Phidylé. Midi sur les feuillages
Rayonne et t’invite au sommeil.
Par le trèfle et le thym, seules, en plein soleil,
Chantent les abeilles volages.

Un chaud parfum circule au détour des sentiers.
La rouge fleur des blés s’incline,
Et les oiseaux, rasant de l’aile la colline,
Cherchent l’ombre des églantiers.