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Charles Maurras appela naguère « le beau visage de l’unité. »

Cette unité, que trop souvent ailleurs notre musique moderne a compromise et rompue, la voix humaine, dans le genre que nous achevons de décrire, continue de la représenter et de la défendre. Harmonique, symphonique même, l’évolution générale ne pouvait, nous l’avons dit, manquer d’accroître le rôle, autrefois secondaire, du piano d’accompagnement. Le domaine de la « mélodie » n’en demeure pas moins le royaume, ou le refuge du chant, d’un chant unique, ou du moins supérieur à ceux qui concourent avec lui. Une voix, un instrument, la « mélodie » ne comporte que deux interprètes. Contre les excès croissants du nombre cela suffit, dans une certaine mesure, à la protéger. Cela suffit également, nous venons de le voir, à créer les chefs-d’œuvre que sont nos chants. Ici l’on va se hâter de nous dire : « Les autres, » — les ennemis. — « les autres ont eu Schubert et Schumann. » il est vrai. Et qui parle de les oublier ! Tous les deux, surtout Schubert, ils surpassent les nôtres par l’abondance et la diversité. Peut-être aussi la « mélodie » française a-t-elle manqué toujours un peu du naturel, du tour familier et populaire qui fait l’un des charmes du lied allemand. Mais depuis leur Schubert et leur Schumann, ils n’ont pas eu, — « les autres, » — tous ceux qui nous furent donnés à nous et qu’ils nous envient. Ceux-là, gardons-nous plus que jamais de les méconnaître. Aimons-les, si les temps sont révolus où les Français non seulement ne s’aimaient pas entre eux, mais ne s’aimaient pas eux-mêmes. Souhaitons seulement, et nous finirons par ce vœu, souhaitons que notre « mélodie » prenne, ou reprenne quelquefois un accent qui fut nôtre et que notre musique a perdu : l’accent de la joie. Sainte-Beuve écrivait à Baudelaire, après avoir analysé l’impression que venaient de lui donner les vers du poète. « Vous dire que cet effet général est triste, ne saurait vous étonner. » On pourrait, sans les surprendre eux non plus, dire la même chose à nos musiciens modernes et volontiers « baudelairisants. » Ils ont abusé de la mélancolie, de la tristesse et du désespoir. Au lendemain du triomphe, à l’aube d’un âge nouveau, nous demandons que le sourire, le rire même, revienne sur les lèvres mélodieuses de la patrie.


CAMILLE BELLAIGUE.