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Cette répartition avait d’ailleurs subi de terribles accrocs. L’industrie, depuis un siècle surtout, a fait appel aux femmes et vidé les foyers. La guerre a tellement multiplié la main-d’œuvre féminine que nous serions portés à croire qu’elle l’a inventée. Cette révolution aussi a des précédents. Avant 1914, des femmes, par milliers, peinaient déjà.

Mais vint la guerre, et il fallut remplacer les hommes absents. Ils furent remplacés. A leurs métiers ordinaires les femmes ajoutèrent ceux des hommes. Ce fut aux champs d’abord. La terre n’attend pas, elle commande et on lui obéit. L’effort admirable fut rendu plus facile par cette nécessité même. Et l’étonnement fut moindre de voir la paysanne, qui fait toujours à la ferme des travaux très durs, en faire cette fois de plus durs encore. Elle les fit quand le mari n’était qu’absent. Elle les fit même quand elle sut qu’il ne reviendrait pas. La terre l’a gardée, et elle a gardé la terre. Non seulement elle a tenu, mais elle a maintenu. Elle a tenu et maintenu aussi au magasin, à l’usine, où elle fut non seulement le bras, mais, ce qui était plus rare en temps de paix, la tête. Partout elle fut à la hauteur de l’épreuve ; mais, dans tous ces cas, c’est le milieu familial et accoutumé qui imposa aux femmes le genre d’activité qu’elles déployèrent. Il n’y eut d’extraordinaire que le zèle et la réussite.

Mais voici des carrières plus imprévues presque subitement envahies par les femmes, et ajoutées à celles où plus de deux millions d’entre elles déjà (car il ne faut cesser de le redire) travaillaient de leurs mains. Les industries féminines d’avant-guerre étaient surtout celles du vêtement et de l’alimentation. Ces industries, telles qu’elles existent aujourd’hui, arrachent au foyer au lieu d’y attacher ; mais il semble qu’il reste en elles comme un souvenir de la vocation naturelle de la femme. Depuis la guerre, on chercherait en vain quelque chose de féminin dans les occupations de la femme, si ce n’est ce que chacune y apporte de conscience, et quelques-unes aussi de grâce obstinée. La femme est menuisière, la femme est maçonne, la femme est forgeronne. Dans les industries du bois, elle conduit des scies dont on n’eût pas osé autrefois lui confier le maniement. Dans les industries des cuirs et des peaux, elle est employée au lavage, à l’épilage et au tannage. Elle fabrique des chaines et accessoires pour cycles, et aussi des fers à cheval.