Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la durée moyenne d’une vie humaine, quarante années ; et il n’est pas inutile de regarder un peu en arrière, et de mesurer le chemin parcouru avant d’arriver à cette création encore récente. Non que nous voulions abuser de cette histoire pour modérer l’allure de nos contemporaines par la satisfaisante perspective des étapes déjà franchies. Quelques-unes d’ailleurs tireraient de la même histoire d’autres conclusions, et tiendraient à honneur de franchir du même train de nouvelles étapes. Il est bon de se rappeler cependant, comme un point de départ, la première ligne d’un livre qui n’a pas été surpassé, si les exigences en ont été dépassées, le traité de Fénelon : « Rien n’est si négligé que l’éducation des filles ; » et, plus significatif encore que cet aveu, le programme que le même Fénelon trace d’une éducation moins négligée : « Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement... Elles devraient aussi savoir les quatre règles de l’arithmétique. » Je n’oublie pas que nos nouvelles latinistes pourraient cependant se réclamer d’un jugement de Fénelon, sinon des raisons sur lesquelles il le fonde, à savoir que l’étude de l’italien et de l’espagnol, qui était alors à la mode pour les filles de qualité, ne vaut pas pour elles celle du latin, qui leur procurera la consolation inestimable d’entendre le sens de l’office divin. Ce programme, même sans latin, fut pendant longtemps encore le programme moyen de l’éducation des jeunes filles. Et nous sommes à une époque où les femmes exercent sur le goût, et même sur l’esprit public quelque empire ; et il est peu vraisemblable que cet empire soit dû uniquement à quelques éducations exceptionnelles.

La Révolution eut plus d’ambition pour le commun des femmes ; mais elle se borna à des projets. Celui de Talleyrand, un des moins ambitieux, il est vrai, rend la plupart des jeunes filles à leurs familles, à l’âge de huit ans, s’en remettant à ces familles pour ce qui reste à faire. Ce désintéressement en dit long. Lakanal sans doute fait décréter que « chaque école primaire sera divisée en deux sections, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles. » Mais ce décret reste lettre morte, et plus tard les filles ne trouveront pas place dans l’Université impériale, les écoles où elles sont reçues restant assimilées aux établissements régis par les règlements de police. La loi de 1833 elle-même pose des principes, comme le décret de Lakanal, mais qui ne furent pas suivis de crédits ;